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Le dernier vendeur de journaux à la criée de Paris prend sa retraite

Véritable célébrité de Saint-Germain-des-Près, Ali Akbar, 66 ans, va bientôt cesser son activité. Avant cela, il veut monter un projet avec son fils…

 

C’est une figure bien connue du boulevard Saint-Germain. Ali Akbar, dernier vendeur de journaux à la criée de la capitale, est une célébrité dans ce quartier de Paris. L’homme, éternellement coiffé d’une casquette de baseball et d’une parka imperméable, sillonne, en effet, ce petit coin des 6e et du 7e arrondissements depuis plus de quarante ans. Le périmètre constitué par le théâtre de l’Odéon et la fontaine Saint-Michel, à l’est ; le musée d’Orsay et le Bon Marché à l’ouest est « son » terrain de chasse. Et son portrait tagué s’affiche d’ailleurs sur un mur de la rue du Four, à l’angle de la rue des Canettes.

 

« Tout le monde me connaît ici », s’amuse ce Franco-Pakistanais de 66 ans. Rares sont ceux, cependant, à savoir les épreuves qu’il a traversées avant d’en arriver là. Né à une quinzaine de kilomètres d’Islamabad, dans une famille très pauvre, Ali Akbar travaille dès l’âge de 6 ans sur des chantiers de construction de Rawalpindi. « À l’époque, on chargeait les gamins comme des baudets. Je transportais des sacs de ciment plus lourds que moi », confie-t-il. À 17 ans, pour échapper à ce qu’il décrit comme une forme de « bagne » (il est battu et même violé), il s’engage dans la marine marchande et sillonne le monde pendant plusieurs années à bord d’un cargo. C’est à la faveur d’une escale au Havre, en 1973, qu’il débarque en France avec l’espoir d’entamer une nouvelle vie.

De Charlie Hebdo au Monde

 

Grâce à Georges Bernier, plus connu sous son nom de Professeur Choron, fondateur de Hara-Kiri puis de Charlie Hebdo, il va devenir vendeur de journaux. « C’est le professeur qui m’a proposé ce travail. Choron m’a beaucoup aidé. Il m’hébergeait, les jours de galère », témoigne le sexagénaire qui reconnaît avoir parfois rougi comme une pivoine à la vue de certaines unes grivoises du journal satirique. « Tu sais, moi, à l’origine, je viens d’une famille prude : musulmane, tendance bouddhiste », justifie-t-il.

À l’époque, la confrérie des vendeurs de journaux à la criée compte une quarantaine de membres dans la capitale. Ils écoulent plusieurs titres. Celui qui se vend le mieux est Le Monde. Surtout dans le quartier des ministères, maisons d’édition et universités que se met alors à fréquenter Ali. Sans papiers (il ne les obtiendra qu’en 1981), dormant dans des caves, le jeune homme ne passe pas inaperçu. Déclamant les titres de Charlie, avec un petit accent chantant ; goûtant de faire ainsi rire les gens, il se met à inventer des unes imaginaires pour Le Monde. « Des blagues débiles qui me passent par la tête et que je ne prépare pas à l’avance », dit-il. Le dimanche, il fait de même avec le JDD.

 

Ça y est, ça y est… Bernard Tapie est sorti de prison

 

Il commence immanquablement par crier « ça y est, ça y est… » ou « numéro spécial du Monde ». Suivent des « nouvelles » parfois saugrenues. « Ça y est, ça y est… Bernard Tapie est sorti de prison », hurle-t-il un jour qu’il croise l’ancien patron de l’OM rue des Saints-Pères. « Ça y est… Ali a le Goncourt », jette-t-il en pénétrant au Flore. « Ça y est, Balkany a tout remboursé. Isabelle arrête les médicaments ! » rebondit-il aux Deux Magots. À la grande époque (dans les années 1990), il écoulait jusqu’à 1 000 exemplaires par jour. Il n’en vend plus qu’une cinquantaine entre 14 heures et 21 heures. Sachant qu’il ne touche que 30 centimes par journal vendu.

 

Ce faisant, il sympathise avec des générations d’étudiants mais aussi d’hommes politiques. De Raymond Barre à Édouard Philippe, en passant par Lionel Jospin ou Michel Rocard, il a connu des dizaines de chefs de gouvernement. Sans compter les présidents. « J’ai rencontré Emmanuel Macron, quand il était étudiant rue Saint-Guillaume », plaisante-t-il.

Nouveau projet

 

L’âge venant, Ali Akbar souhaite néanmoins se poser. « Il m’est de plus en plus difficile de marcher quinze à vingt kilomètres par jour », reconnaît-il. Il a longtemps espéré un kiosque chauffé à la station Odéon ou dans le jardin du Sénat, où il aurait pu vendre, à côté de ses journaux, des souvenirs pour les touristes. Mais la chose ne s’est pas faite.

 

En 2017, Le Monde, souhaitant confier sa diffusion à un partenaire exclusif, cesse de lui céder des stocks. « Nous nous sommes alors mobilisés pour convaincre la direction du quotidien de ne pas le laisser tomber », émet Pascal Perrineau, professeur des universités et président de l’association des anciens élèves de Sciences Po.

 

Touchant une petite pension (le minimum vieillesse), Ali Akbar envisage aujourd’hui d’ouvrir, avec l’un de ses cinq fils, un food truck aux portes du jardin du Luxembourg. « Le maire du 6e a donné son accord pour lui concéder un emplacement, en face de la station de RER. Ne reste plus qu’à lui acheter un triporteur électrique », poursuit Pascal Perrineau. Là encore, l’association Sciences Po Alumni va l’aider. « Nous avons imprimé des flyers et nous allons lancer une campagne de crowdfunding », indique M. Perrineau.

 

Sachant que 7 000 personnes s’étaient mobilisées, il y a deux ans, l’ancien directeur du Cevipof a bon espoir de réunir le capital qui lui manque. Sur les affichettes qui seront distribuées pendant la période des fêtes, on lit : « Ça y est, ça y est… Ali prend sa retraite. Aidez-nous à lui offrir un cadeau pour son pot de départ. »

 

Lire : Le Point du 16 décembre

 

Jean-Philippe Behr

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