Quatre années auront suffi à intégrer le manga au paysage littéraire français. Mais pour s’installer durablement, le genre japonais cherche à fidéliser son lectorat, en dépit de la crise de lecture qui frappe de plus en plus de consommateurs.
Le manga est-il encore dans sa bulle ? L’engouement marqué pendant la crise sanitaire l’a promu au rang de cinquième genre littéraire en France, selon l’Arcom. Mais le secteur pâtit depuis 2023 d’une baisse de ses ventes, après plusieurs années fastes. En 2024, « seulement » 36 millions de mangas ont été vendus, soit 3,7 millions d’exemplaires de moins que l’année précédente.
Une décrue qui s’explique notamment par le « climat de crise, qui n’incite pas à dépenser en premier lieu son argent dans les mangas », suggère Ben Kordova, gérant de la librairie parisienne Manga Café V2. La réduction de la dotation du Pass Culture, l’augmentation des prix du livre et la fin de séries à succès ont également porté un coup au marché.
Pas d’alarmisme néanmoins, insistent les acteurs du secteur, car les ventes de mangas restent nettement plus élevées qu’en 2019 : 17 millions d’exemplaires avaient alors été vendus, soit presque deux fois moins qu’aujourd’hui.

Hégémonie de quelques titres
Pour la maison d’édition Glénat, cette récente stagnation dessine un « palier ». « Reste à savoir si le niveau des ventes va se maintenir ou augmenter encore », s’interroge son directeur général, Benoît Pollet. S’il n’exclut pas que le marché a peut-être atteint sa maturité, son confrère de la maison Ki-Oon, Ahmed Agne, n’y voit qu’une phase de déclin avant la reprise. « Nous sommes entre une fin de cycle et un nouveau départ pour le manga, comme on l’a toujours connu », assure-t-il.
Dès les années 2000, les mangas fleuves comme « Naruto », « Bleach » et « One Piece », ont « cannibalisé » le marché, retrace Ahmed Agne. La publication régulière de leurs dizaines de tomes a monopolisé l’intérêt – et le temps – des éditeurs japonais, éclipsant d’autres récits. « Pendant cette ère, une pénurie de nouveaux talents a provoqué une petite crise au début des années 2010 », se souvient-il.
Mais ce ne fut que de courte durée. « L’hégémonie de One Piece, Naruto et Bleach a été une parenthèse et une anomalie dans le format des mangas », analyse l’éditeur. Car dans les années 1990, à l’âge d’or du manga shonen – genre destiné à un public masculin adolescent – le format court primait déjà : « Dragon Ball » comptait « seulement » 42 tomes et « City Hunter », 35.
Séries plus courtes
Retour aux sources aujourd’hui, avec des séries qui se raccourcissent. Après la fin de « Naruto » et « Bleach » en 2014 et 2016, c’est toute une nouvelle génération de mangas shonen qui s’est lancée. « Jujutsu Kaisen », « Demon Slayer », « Kaiju No. 8 »… Aucun n’a dépassé les 30 tomes publiés, sauf « My Hero Academia » et ses 42 volumes. On reste loin des 112 tomes de One Piece, qui continue à tracer sa route après 28 ans de parution…
Ce rythme de publication a de quoi plaire aux éditeurs, qui dépendent non plus d’une seule série mais d’une multitude de blockbusters plus courts, ainsi qu’aux auteurs, qui veulent de moins en moins sacrifier leur vie pour leur manga. Pour une série de 35 ou 40 tomes, il faut compter une dizaine d’années de publication : un grand écart avec la cadence de travail des créateurs de « One Piece », « Bleach » et « Naruto », dont les problèmes de santé récurrents ont eu de quoi décourager les nouveaux auteurs.
Les lecteurs plébiscitent, eux aussi, ces séries plus courtes. Question de budget, mais aussi besoin d’instantanéité, en France comme au Japon. Avec le recul de la lecture, les consommateurs, devenus plus impatients, auraient « moins tendance à laisser se déployer l’histoire », observe Glénat.
Déclinaison animée
Résultat : les auteurs et éditeurs recherchent l’efficacité dès le premier chapitre, ce qui contribue à la réduction des séries mangas. « On a de plus en plus de gens qui nous demandent en combien de tomes une série finira, et sont heureux d’apprendre qu’elle ne dépassera pas 10 ou 12 tomes », confie le libraire Ben Kordova.
Une fois la première communauté de lecteurs conquise par le manga, « la déclinaison animée est une deuxième lame de fond qui permet de récupérer un nouveau lectorat », détaille Ahmed Agne. L’adaptation en animé est même le « premier vecteur d’entrée » dans le manga, selon une note publiée par l’Arcom en juillet.
Près de la moitié des Français (42 %) sont consommateurs de l’un des deux genres. Et leur attrait porte d’abord sur l’animé – pour 38 % des Français – puis sur sa version papier (24 %). Regarder des animés est d’ailleurs entré dans les moeurs, puisque plus de la moitié des utilisateurs de Netflix en consomment régulièrement. Une manne que les éditeurs de mangas sont bien déterminés à récupérer.






































