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Australie : Facebook bloque le partage des articles de presse

Le groupe californien souhaite ainsi dénoncer ainsi un projet de loi voulant forcer les plates-formes à rémunérer les médias pour la reprise de leurs contenus.

Google a cédé. Facebook, lui, met ses menaces à exécution. Le géant des réseaux sociaux a restreint le partage d’articles et de vidéos d’information en Australie, en représailles à un projet de loi qui veut forcer les plates-formes à rémunérer les médias pour la reprise de leurs contenus.

« Nous faisons face à un choix désagréable : essayer de nous conformer à une loi qui ignore les réalités de la relation [entre le réseau et les éditeurs], ou bien cesser d’autoriser les contenus informatifs sur nos services en Australie, a détaillé le groupe dans un communiqué, mercredi 17 février. Avec le cœur lourd, nous choisissons la deuxième option. »

Le gouvernement du pays travaille sur un « code de conduite contraignant » censé gouverner les relations entre des médias traditionnels, en difficulté financière, et les géants d’Internet, à commencer par Google et Facebook, qui captent la majorité des recettes publicitaires numériques mondiales.

« Incroyable, invraisemblable, inacceptable »

Selon l’annonce de Facebook, ses utilisateurs australiens ne devaient plus voir ni partager de liens d’information provenant de médias locaux ou internationaux. Les médias australiens, eux, devaient être empêchés de publier leurs contenus sur des pages de la plate-forme.

Mais plusieurs services de secours en Australie ont été également affectés par le blocage, y compris les pages servant à alerter la population en cas de feux de brousse, de cyclone ou d’épidémie, au moment où plusieurs régions faisaient face à des situations d’urgence. La page du service météorologique gouvernemental « a été affectée par les soudaines restrictions de contenus par Facebook », a tweeté la ministre de l’environnement, Sussan Ley, en demandant aux usagers de se rendre plutôt sur le site de cet organisme.

Les perturbations se sont produites alors que le ministère avait émis une série d’avertissements concernant des crues soudaines dans certaines parties de l’Etat du Queensland, après de fortes pluies dans la nuit. La page Facebook du service des incendies d’Australie-Occidentale a également été effacée alors que l’Etat se préparait à des conditions de « danger d’incendie catastrophique ».

« Facebook a eu tort. Les mesures prises par Facebook sont inutiles, autoritaires et vont nuire à sa réputation ici en Australie », a déclaré le ministre australien des finances, Josh Frydenberg. Le gouvernement demeure « résolument déterminé » à mettre en œuvre son projet de loi. « Incroyable, invraisemblable, inacceptable », a réagi la députée d’Australie-Occidentale Madeleine King, tandis que les appels se sont multipliés pour que Facebook corrige rapidement la situation.

Les départements de santé d’au moins trois Etats, qui publient régulièrement des mises à jour sur l’’épidémie de Covid-19 à des centaines de milliers d’Australiens, ont également été touchés, ainsi que plusieurs comptes gouvernementaux. Le service national de lutte contre les agressions sexuelles et la violence domestique, certaines organisations caritatives et même la page de Facebook apparaissaient vierges pour les utilisateurs en Australie.

Relation déséquilibrée

Google avait aussi menacé de suspendre ses services en Australie, mais il vient de faire part d’un accord passé avec le groupe de médias de Rupert Murdoch, News Corp. – qui comprend The Wall Street Journal, The New York Post, The Times, The Sun, The Australian

Google a accepté de verser des « sommes significatives » en contrepartie des contenus de ces titres de presse qui apparaîtront sur sa plate-forme lancée en 2020, News Showcase. Ce « partenariat historique », selon les termes des deux sociétés, va lui permettre d’échapper à l’arbitrage forcé prévu par la future loi en cas d’échec des négociations avec les médias.

« Beaucoup de gens vont demander pourquoi nous réagissons différemment [de Google] », a reconnu William Easton, directeur de Facebook pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Le moteur de recherche de Google est « inextricablement lié aux infos, et les éditeurs de presse ne fournissent pas volontairement leur contenu. En revanche, sur Facebook, ils choisissent de publier les nouvelles parce que cela leur permet de vendre plus d’abonnements, de faire croître leur audience et d’augmenter leurs revenus publicitaires », s’est-il justifié.

Le premier réseau social au monde dit avoir généré plus de 5 milliards de liens renvoyant vers les publications australiennes, dont il estime la valeur à 407 millions de dollars australiens (261 millions d’euros) pour les médias. « Pour Facebook, les gains sont minimes, insiste le dirigeant. Les infos représentent moins de 4 % des contenus que les gens voient sur leur fil. » « Nous expliquons depuis des mois au gouvernement australien que l’échange de valeur entre Facebook et les éditeurs penche largement en leur faveur », a-t-il conclu. Le groupe américain a aussi précisé qu’il allait, désormais, privilégier les médias d’autres pays pour ses investissements dans l’information.

« Droit voisin »

Lundi, M. Frydenberg avait assuré que les discussions avec les patrons de Facebook et de Google, Mark Zuckerberg et Sundar Pichai, progressaient vers une résolution du contentieux. La législation, actuellement étudiée au Parlement, exigerait des deux groupes qu’ils négocient avec chaque média une rémunération en fonction du trafic que les titres génèrent. Faute d’accord, un arbitre trancherait. Les plus gros groupes de presse australiens, News Corp. et Nine Entertainment, ont estimé que ces compensations devraient s’élever à des centaines de millions de dollars par an.

L’accord avec Google « va avoir un impact positif sur le journalisme dans le monde entier, car nous aurons fermement établi qu’il y a un prix à payer pour le journalisme de qualité », a assuré, mercredi, Robert Thomson, le patron de News Corp. Google et Facebook, soutenus par le gouvernement américain, avaient affirmé que le projet australien saperait leur modèle économique et le fonctionnement même d’Internet.

Mais des efforts similaires pour un partage plus équitable des recettes publicitaires sont en cours ailleurs dans le monde, notamment en Europe. En janvier, Google avait annoncé la conclusion d’un accord-cadre qui ouvre la voie à la rémunération des quotidiens français au titre du « droit voisin », cette nouvelle prérogative similaire au droit d’auteur instaurée par une directive européenne il y a deux ans.

La crise des médias a été aggravée par l’effondrement économique lié à la pandémie. En Australie, des dizaines de journaux ont été fermés et des centaines de journalistes licenciés.

Lire : Le Monde du 17 février

 

Jean-Philippe Behr

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