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Comment l’IA va affecter le trafic des médias

Les médias s’interrogent sur le futur de la recherche d’informations. Alors que les IA donnent des réponses « clés en main », le lecteur ira-t-il lire les articles ?

Alors que les outils d’intelligence artificielle envahissent notre quotidien, comment se fera demain, l’accès aux journaux, aux sites d’info ? Quel sera l’impact des moteurs de recherche dopés à l’IA comme Google AI Overviews ? Les professionnels des médias hésitent entre grosse frayeur et inquiétudes latentes.

Si personne ne peut prévoir le futur, quelques pistes se dessinent, alors que près d’1 Français sur 5 utilise des outils d’IA, selon Médiamétrie. D’ores et déjà, une chose est claire : les IA n’apportent que marginalement du trafic : « Sur les sites des journaux nationaux, on parle de quelques milliers de visites par mois, contre plusieurs centaines de millions via Google », explique Florent Rimbert, responsable « développement numérique », de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), qui regroupe presque 300 titres.

Selon les données de l’Apig, sur 54 sites de presse (mesure via le nombre de « clics »), Google représente 69 % du trafic, dont une grosse partie venant de Discover (une fonctionnalité faisant apparaître des articles), les réseaux sociaux 7 %, les newsletters 1 %, le reste étant l’accès direct aux sites ou le trafic difficilement identifiable.

Accord entre « Le Monde » et OpenAI

Pour « Le Monde », qui a passé un accord un contrat avec OpenAI, l’an dernier, pour mettre en avant notamment ses articles dans ChatGPT, la part de trafic venant de ce dernier reste « marginale », mais elle progresse, expliquait Louis Dreyfus, président du directoire, dans un entretien à France Inter. « Pour nous, ça fonctionne comme un teaser, une incitation à l’abonnement. » Le taux de conversion est plus important que via les moteurs de recherche.

L’autre grande question est plus cruciale : les lecteurs vont-ils encore cliquer sur les sites de presse s’ils ont l’essentiel de l’information sur les outils d’IA ? « Ces acteurs se revendiquent comme des moteurs de réponse. Ils auront donc intérêt à donner la réponse la plus complète. Et comme les liens sont plus ou moins visibles, le lecteur risque de se contenter des résumés », s’inquiète Bertrand Gié, directeur du pôle News du « Figaro » et président du Geste, regroupant les éditeurs en ligne. A la clé, une baisse du trafic pour les médias, avec une incidence sur la publicité, dans un contexte déjà tourmenté.

Inquiétude sur Google AI Overviews

Les éditeurs craignent en particulier l’arrivée de Google AI Overviews – à une date encore inconnue en France -, nouvel outil de Google dopé à l’IA, qui offre des résumés plus complets de réponses. Aux Etats-Unis, des sites d’info ont vu leur audience baisser. 

La menace est d’autant plus prise au sérieux qu’à en croire une récente étude de « Columbia Journalism Review », les chatbots peuvent se tromper dans l’attribution des sources (donnant le « mauvais » article) et ne parviennent « pas toujours à créer un lien vers la source originale. A certaines occasions, les chatbots nous ont dirigés sur des plateformes telles que Yahoo News ou AOL plutôt que vers les sources originales, même lorsque l’éditeur était connu pour avoir conclu un accord de licence avec la société d’IA », expliquent les auteurs de l’étude.

Ces bouleversements peuvent brouiller la confiance du public envers les médias et casser le lien fragile entre la presse et son public. Une étude de Reuters Institute en 2017 montrait que le lecteur se souvient qu’il a vu une information sur Facebook mais se rappelle moins la source de l’information – et donc du média – elle-même. Demain, ce sera sans doute pire…

Les panneaux « propriété privée » pas forcément respectés

Alors que faire ? « Défendre l’exclusivité des contenus. Par des réserves légales bien sûr, mais aussi par un modèle économique qui protège la valeur de nos contenus. Pour éviter d’être pillé par des robots d’IA sans contrepartie, les paywalls et les datawalls peuvent jouer un rôle déterminant », répond Yasmine Maslouhi, directrice audiences, produits et revenus digitaux des « Echos ». Nombre d’éditeurs ont mis en place des « opt-out », un droit d’opposition à l’utilisation des données par les systèmes d’IA.

Autrement dit, une sorte de panneau « propriété privée ». Mais… « on voit bien que les indications ne sont pas forcément respectées », observe Pierre Petillault, directeur général de l’Apig, qui a découvert que Common Crawl ( un organisme à but non lucratif, qui aspire les données d’Internet pour les archiver ) « prenait » de nombreux articles de presse régionale.Pour autant, le pire n’est pas certain. « Aujourd’hui, la bataille du SEO (référencement) est avant tout sur Discover, jusqu’alors disponible sur les mobiles et qui est en train d’être déployé sur ordinateur, représentant l’essentiel des recherches via Google. Donc l’impact des acteurs de l’IA sera limité », rassure Virginie Clève, experte en stratégie digitale, fondatrice de largow. Mais les sites d’info brute, le « froid », les guides shopping, etc. pourraient être plus largement affectés ». « L’information générée par IA est factuelle, les lecteurs auront encore besoin d’analyses, de reportages, de valeur ajoutée », conclut Ludovic Manigot, fondateur ePerf Consulting. A bon entendeur…

 
Lire : Les Echos du 28 avril
 

Jean-Philippe Behr

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