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La fabuleuse histoire de l’information

Le dernier livre du Jacques Attali, « Histoires des médias » est une plongée fascinante dans le monde de l’information, depuis les signaux de fumée jusqu’aux réseaux sociaux. Et une réflexion passionnante sur notre rapport au réel.

Au commencement était le besoin de savoir. Savoir ce qui nous menace et ce qui nous aide à nous rendre plus fort. Depuis que l’homme est l’homme, l’information circule, certes, mais à la vitesse de son pas, écrit joliment Jacques Attali. Ce sont les rares visiteurs, voire les envahisseurs, qui rapportent aux tribus ou communautés les bruits d’un monde réduit alors au voisinage.

L’histoire des médias proprement dits, ce formidable voyage auquel il nous convie dans son nouveau livre, commence par les signaux de fumée. Il faudra un long chemin, parsemé d’innovations, de ruptures et de conflits pour aboutir à ce que nous vivons aujourd’hui : un déluge d’informations irrigué en permanence par une myriade de réseaux sociaux.

Réservée aux puissants

Comment en sommes-nous arrivés là ? Tout commence un peu plus de 3.000 ans avant Jésus-Christ. A cette époque, trois révolutions concomitantes se produisent : l’utilisation du cheval, l’apparition de la roue et celle de l’écriture. L’information et le moyen de la diffuser au-delà de son environnement immédiat sont nés. Bien sûr, nous sommes encore loin de la communication de masse. A Sumer, en Mésopotamie, le souverain se sert d’abord de l’écriture cunéiforme pour transmettre ses messages à ses vassaux et officiers. L’information est alors réservée aux puissants, ceux – rares à l’époque comme au fil des siècles suivants – qui savent lire.

En Europe, l’alphabétisme masculin n’était plus que de 5 % en l’an 800 alors qu’il avait atteint 30 % sous l’Empire romain. Cet élitisme initial restera une constante, encore en usage aujourd’hui : « le pouvoir exige d’avoir les moyens d’être informé en premier des choses vraiment importantes et de choisir quelles informations transmettre aux autres », écrit Jacques Attali.

C’est en Chine que sera créé le premier périodique, le « Dibao », au IXe siècle. On y trouve des textes législatifs, des informations sur la vie quotidienne de l’empereur et des rapports militaires ou diplomatiques. Mais, pendant quatre mille ans, la transmission de l’information restera faible et cantonnée.

La révolution de l’imprimerie

Il faut attendre l’imprimerie au XVe siècle pour que tout commence à changer. C’est elle qui rendra possible la future massification des nouvelles. Les messages sont désormais imprimés en plusieurs exemplaires. Les « Neue Zeitungen » de l’empereur du Saint-Empire Maximilien 1er annoncent les premiers journaux. A Venise, les « Novellanti », des écrivains spécialisés payés par les marchands, écrivent des « Avvisi » destinés à leurs clients. Ils préfigurent les premiers journalistes.

De multiples progrès, donc, que l’on suit pas à pas, avec gourmandise. Au fil des chapitres, comme il l’avait fait avec son précédent ouvrage sur l’histoire de l’alimentation, c’est la construction haletante de l’homme moderne que décrit, avec une rare érudition, Jacques Attali. Son appropriation de l’information prendra des milliers d’années. Longtemps, en effet, elle circulera dans le même sens, du haut vers le bas, des maîtres vers le peuple. La propagande en est évidemment l’objectif premier.

La presse, rempart de la liberté

C’est au XVIIIe siècle, avec l’apparition des journalistes professionnels que tout bascule à nouveau. « Savoir tout, avant les autres », devient le nouvel impératif, écrit Jacques Attali. Le dire en toute indépendance est le pendant de ce principe. La presse, puisque c’est d’elle qu’il s’agit désormais, devient « le grand rempart de la liberté du peuple ».

Le télégraphe, la photographie, le téléphone seront les leviers technologiques de cette nouvelle donne démocratique. En 1847, Brême est la première ville d’Europe continentale à autoriser l’usage du télégraphe électrique pour l’envoi de dépêches. Les mots s’envolent. Et, avec eux, les images… Dans les années 1950, avec l’avènement de la télévision, l’ouverture sur le monde devient la norme. Les conflits avec les pouvoirs, soucieux de maintenir leur contrôle sur la vérité officielle s’intensifient. La censure et l’autocensure forment un ballet incessant. Dans l’épigraphe de son livre, Jacques Attali résume tout en utilisant cette magnifique phrase de son ami Coluche : « On ne peut pas dire la vérité à la télé, il y a trop de monde qui regarde ».

L’emprise des fake news

Ceci pour souligner la formidable puissance acquise par les médias, d’abord sous l’impulsion de la télévision et aujourd’hui celle d’Internet et des réseaux sociaux. Et demain ? La tentative de lire l’avenir forme la dernière partie du livre et elle n’est pas la moins intéressante. Le paradoxe est que jamais les moyens de s’informer n’ont été aussi nombreux et jamais les fausses nouvelles n’ont circulé avec autant d’intensité. A la rareté a succédé la surabondance, avec tous les risques qui en découlent. La question centrale est de savoir qui des Etats ou des groupes surpuissants, comme les Gafa, sortira vainqueur de cette nouvelle guerre de l’information devenue une lutte pour le pouvoir et le contrôle de nos sociétés.

Jacques Attali dresse un tableau, loin d’être idyllique, de ce qui nous attend. Pour éviter le pire, il esquisse plusieurs solutions, certaines radicales, comme le démantèlement des réseaux sociaux ou le dévoilement des algorithmes utilisés par les Gafa, d’autres frappées au coin du bon sens, comme celle-ci : il faut, très jeune, apprendre aux enfants l’art de s’informer pour savoir plus tard démêler le vrai du faux. Le fait-on vraiment ?

« Histoires des médias. Des signaux de fumée aux réseaux sociaux, et après », par Jacques Attali. Fayard. 491 pages. 23 euros.

Lire : Les Echos du 22 janvier

 

Jean-Philippe Behr

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