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La presse régionale pénalisée par la pénurie de porteurs

Dans un marché du travail tendu, le recrutement de porteurs pour distribuer à l’aube les journaux, en particulier les quotidiens régionaux, devient de plus en plus délicat. La désaffection pour ce métier difficile cause une dégradation du service… et des désabonnements.

Cherche porteur désespérément. Confrontés à la hausse du prix du papier et à la transition numérique, les éditeurs de la PQR doivent faire face à un autre danger tout aussi existentiel : la difficulté à recruter des porteurs, pour assurer une distribution efficace de leurs journaux.

Chez « Ouest-France » , le leader de la PQR et l’un des groupes disposant du maillage de distribution le plus dense, environ 450 porteurs manquent à l’appel, soit 10 % du total. Toutes les régions sont concernées. « On recrute en permanence des porteurs », confirme Jérôme Mancellon, le directeur général de Proximy, qui confirme ces difficultés à l’embauche chez cette société qui distribue la quasi-totalité des quotidiens en Ile-de-France et dans l’Oise.

Erosion des ventes papier

Le problème est particulièrement aigu pour la PQR, très dépendante du papier et pour qui le portage est la meilleure manière de freiner l’érosion des ventes physiques. « Le portage est très important dans le modèle économique de l’éditeur, c’est le canal qui fidélise le mieux le lecteur au support papier », rappelle Pierre Petillault, directeur général de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig).

« Pour préserver ce lien, le journal doit normalement être livré très tôt, mais le contexte économique est défavorable », souligne-t-il. Or la solution de substitution offerte par les services de La Poste ne permet le plus souvent pas la livraison aux aurores qu’attendent les abonnés.

Recrutement difficile

Trois facteurs nuisent au recrutement de porteurs, explique Jean-Clément Texier, fin connaisseur de la PQR et conseiller de l’imprimeur Riccobono, propriétaire de Proximy. La diminution des volumes distribués, d’abord, réduit mécaniquement la rentabilité des tournées. Ensuite, la plupart des porteurs, surtout en province, utilisent un véhicule pour livrer et subissent donc l’inflation du carburant. Enfin, l’embauche sur ce type de postes est plus difficile, dans un marché du travail très dynamique.

Recruter et fidéliser ces collaborateurs, sur ces postes aux horaires décalés et mal payés, devient une gageure. « Il faut se lever tôt pour un métier qu’on exerce entre 5 heures et 7 heures 30 du matin et pour une rémunération pas exceptionnelle, entre 450 euros et 700 euros par mois, rappelle Louis Echelard, président du directoire de « Ouest-France ». Ce travail ingrat et difficile, comme d’autres métiers de proximité, n’est pas plébiscité. »

19.000 porteurs de journaux

Sur 19.000 porteurs en France, seule la moitié sont des salariés, le reste intervenant sous le statut de vendeurs colporteurs de presse (VCP). Du côté de Proximy, les porteurs – salariés à temps partiel – sont rémunérés environ 900 euros bruts par mois pour des tournées quotidiennes s’étalant de 3 heures 30 à 7 heures 30 du matin.

Des jeunes retraités, des travailleurs qui ont besoin de revenus complémentaires et des jeunes occupent généralement ces postes, qui souffrent aussi de la concurrence d’autres acteurs de la livraison, aux horaires plus souples, comme Amazon, Uber Eats et consorts. Pour retenir ses porteurs et séduire les jeunes, Proximy s’est d’ailleurs inspiré des applications de livraison afin de simplifier et d’optimiser les tournées.

Concurrence d’Amazon

L’entreprise, qui reste déficitaire, ne peut pas se permettre de rémunérer ses salariés au-delà du SMIC, car le service de portage n’est pas monétisé à sa véritable valeur. « Le coût de distribution pour une société de portage comme la nôtre se situe entre 60 et 70 centimes par client par numéro », indique Jérôme Mancellon. Un prix qui n’est pas répercuté sur l’abonnement.

L’aide de l’Etat, pour ce maillon indispensable de la distribution de journaux, est donc vitale. En 2023, elle s’élève à 35 millions d’euros, dans la dernière loi de finances. « L’extension des réseaux de portage à d’autres livraisons permettrait de les valoriser », suggérait un rapport récent du sénateur Roger Karoutchi.

Certains en appellent aussi à une consolidation du secteur. « Quand vous voyez dans une même rue des véhicules de différentes sociétés de portage, c’est qu’il y a peut-être des possibilités d’optimisation », pointe Jérôme Mancellon. Selon Jean-Clément Texier, il faut éviter les duplications de dépôts parfois situés à quelques kilomètres ou la coexistence, sur un même territoire, de tournées dédiées à la PQR et la PQN. La solution pourrait passer par des partenariats, comme « Sud Ouest » qui distribue « Le Point » à Bordeaux, estime-t-il.

 

Lire : Les Echos du 26 avril

 

Jean-Philippe Behr

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