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« Le Monde » parie sur l’étranger pour stimuler sa croissance

Pour atteindre son objectif de 1 million d’abonnés, le quotidien veut séduire de plus en plus de lecteurs étrangers. Son offre « Le Monde in English », lancée l’an passé, monte en puissance. Les articles du journal pourraient un jour aussi être traduits dans d’autres langues…

Dans un marché de l’abonnement qui montre des signes d’essoufflement en France, « Le Monde » compte sur les lecteurs étrangers pour stimuler sa croissance.

Alors que le milliardaire Daniel Kretinsky vient de sortir du capital du quotidien, le journal a passé le seuil du demi-million d’abonnés numériques en septembre (à 503.000, et près de 600.000 en comptant les abonnés papier). En 2023, la progression de son parc d’abonnés en ligne devrait atteindre environ 7 %, prévoit le président du directoire du groupe Le Monde, Louis Dreyfus.

Une croissance moindre que pendant les années Covid, mais « dans les mêmes eaux que l’an passé », selon lui, malgré les tensions sur le pouvoir d’achat et la prolifération d’offres de médias payants. « Dans les prochaines années, nous pensons pouvoir dépasser le million d’abonnés pour les contenus de la marque Le Monde », affirme-t-il, confirmant un objectif déjà énoncé.

Application bilingue

Pour cela, le journal mise notamment sur la montée en puissance de sa version anglaise, « Le Monde in English », lancée en avril 2022. Jusqu’à 50 % des contenus publiés chaque jour par la rédaction y sont traduits, grâce au logiciel d’intelligence artificielle DeepL, supervisé par des agences de traducteurs et, en bout de chaîne, par une équipe de sept éditeurs anglophones. Depuis la rentrée, l’application du « Monde », devenue bilingue, se charge automatiquement en anglais dans les pays anglophones. « Aujourd’hui 13 % de notre audience provient de l’étranger, donc nous visons 15 % d’abonnés en langue étrangère », affirme Louis Dreyfus.

« Construire un lectorat à l’étranger et notamment aux Etats-Unis prendra du temps, il faut être patient », prévient toutefois le directeur du « Monde », Jérôme Fenoglio. A terme, « nous basculerons sans doute un jour aussi sur d’autres langues, comme l’espagnol », prédit-il. Même si le marché de l’abonnement numérique est aujourd’hui avant tout anglophone.

Ce plurilinguisme n’est pas la seule arme du « Monde » pour grandir. Le journal, qui a étoffé récemment des thèmes comme la parentalité, veut aussi renforcer sa couverture de l’international. Des postes de correspondants ont été rouverts, notamment au Benelux ou à Montréal. Au total, le média s’appuie sur près de 20 correspondants à l’étranger, sans compter les pigistes. « Nous réfléchissons à renforcer notre couverture du Pacifique et à avoir plus de journalistes en Chine », précise Jérôme Fenoglio.

Hub californien

Aux Etats-Unis, la rédaction compte trois correspondants mais aussi un bureau à Los Angeles, composé d’éditeurs qui assurent l’actualisation du site pendant la nuit en France. Le décalage horaire permet également à ce « hub » californien de préparer la « Matinale » (publiée à 7 heures) et de prendre de l’avance sur le bouclage très tôt dans la journée de l’édition papier.

Enfin, la conquête des audiences, notamment des jeunes, passe également par le développement de formats vidéo dédiés aux réseaux sociaux (Snapchat, TikTok, YouTube, etc.), où le groupe comptait environ 11 millions d’abonnés fin 2022, et par les podcasts, comme « L’Heure du Monde », « Chaleur humaine » ou « Le Goût de M ».

« Le travail de la rédaction est le principal vecteur de l’augmentation du chiffre d’affaires », souligne Louis Dreyfus, qui rappelle que celle-ci est passée de 310 journalistes en 2010 à 540 aujourd’hui. Une augmentation qui est allée de pair avec celle de la diffusion, qui a doublé en treize ans (483.000 exemplaires de moyenne sur l’exercice 2022-2023, selon l’ACPM), rappelle-t-il.

Le quotidien à l’équilibre

Le modèle du « Monde » repose principalement sur la diffusion papier et numérique, les abonnements digitaux ayant apporté près de 60 millions d’euros de revenus en 2022. Le revenu moyen par abonné est « stable voire en légère progression » à environ 11 euros par mois, selon Louis Dreyfus. La publicité pèse légèrement plus de 20 % du chiffre d’affaires du « Monde » (309,5 millions d’euros en 2022 pour le groupe).

Rentable depuis 2016, le groupe autofinance le développement de ses activités, explique sa direction. Sa croissance lui permet d’investir dans le numérique (10 à 12 millions d’euros par an) et dans sa rédaction. L’impact de la flambée du prix du papier – qui a légèrement reflué en 2023 – et de l’énergie a pesé sur les comptes en 2022 (7 millions d’euros de charges supplémentaires), mais devrait être un peu moindre cette année.

Si le quotidien est à l’équilibre, la rentabilité du groupe est encore tirée par son pôle magazines, en particulier « Télérama », premier contributeur aux résultats. Mais l’hebdomadaire, dont la diffusion est en baisse (-5,2 % en 2022-2023, à 428.000 exemplaires, selon l’ACPM), comme la plupart des magazines, doit désormais à son tour « inventer son futur numérique », rappelle Louis Dreyfus.

« Le Monde » prend ses distances avec Twitter

Dans la lignée du patron du « New York Times », qui a encouragé l’an dernier sa rédaction à moins tweeter, le directeur du « Monde », Jérôme Fenoglio, « recommande aujourd’hui aux journalistes de ne tweeter que les liens de leurs articles ». Si un jour Twitter décidait de supprimer les liens vers les articles, « alors nous réviserions notre politique qui consiste pour l’instant à rester sur Twitter. Dans les médias d’information, on a commis tous l’erreur d’inciter nos journalistes non seulement à aller sur Twitter, mais aussi à y être très actifs », admet-il. Selon lui, « le réseau s’est mis à ressembler à sa caricature » et sa fonction d’instrument de veille autrefois « extrêmement utile » est désormais « fortement détraquée ».

 

Lire : Le Monde du 2 octobre

 

Jean-Philippe Behr

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