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Le « new normal » reste une déception dans les entreprises

Deux ans et demi après le début de la crise sanitaire, le « new normal » reste une déception dans les entreprises

La crise Covid dans le monde du travail a ouvert à de nouvelles façons de travailler, parfois qualifiées de « new normal ». En 2022, nous avons lancé un Observatoire du new normal au travail rassemblant entreprises privées, publiques et administrations françaises afin de suivre la transformation de ces organisations et des modes de travail au fil du temps.

Nos derniers travaux réalisés dans le cadre de cet Observatoire mettent notamment en évidence que pour l’individu, le collectif de travail et pour l’entreprise, le new normal reste encore perçu comme une évolution décevante. C’est en effet le cas d’une grande majorité des répondants à notre dernière étude. A contrario, seulement 36 % des répondants se déclarent « assez d’accord » avec l’affirmation selon laquelle ils vivent bien les dernières évolutions, et aucun ne se dit « complètement d’accord » avec celle-ci.

Contrairement à ce qui est souvent communiqué, le « new normal » au travail ne se réduit pas à la mise en place du télétravail. Il s’agit d’une véritable reconfiguration des pratiques de travail qui trouve ses racines dans des évolutions progressives des modes de travail depuis une vingtaine d’années. Néanmoins, son déploiement brutal et quasi généralisé à la suite de la crise Covid montre que les règles actuelles posées dans le travail sont inadaptées.

Management revisité

Le new normal revisite le management dans ces trois rôles : planification de l’action, coordination de l’action et contrôle de l’action.

En termes de planification de l’action, en plus des tâches classiques d’identification et d’allocation des tâches, il est désormais nécessaire de planifier les règles des lieux et espaces de travail. Il convient ainsi de définir les règles d’occupation des espaces de travail en fonction du type de tâche à effectuer mais aussi en tenant compte de la règlementation sanitaire et de celle des espaces (open spaces) nouvellement aménagés pour le flexdesk. Il s’agit d’établir les règles sur le nombre de jours en présentiel ou en distanciel et définir les tâches qui nécessitent d’être en présentiel, en distanciel ou en co-modal.

En termes de coordination des tâches et de l’action, le new normal au travail introduit la nécessité de coordonner les venues sur site et leurs valeurs ajoutées mais aussi de coordonner l’usage des différents outils de travail (numérique, physique).

Enfin avec le new normal, il convient de contrôler l’essentiel de l’activité « sans les yeux », c’est-à-dire de s’intéresser aux résultats du travail et non aux moyens en contrôlant la réalisation de la tâche avec les outils digitaux. L’e-management se substitue à la relation humaine et présentielle.

Pour chacun de ces points, il s’agit désormais de définir des règles claires et de les communiquer au collectif de travail. Dans le cas contraire, la régulation autonome l’emporte et le salarié agit comme il l’entend. Une femme manager cinquantenaire d’une grande entreprise de service que nous avons interrogée le reconnaît :

« La difficulté en tant que manager, c’est que vous vous échinez à faire tous ces plannings et autres, et les collaborateurs n’en font qu’à leur tête. »

De surcroît, cette reconfiguration des pratiques de travail s’inscrit dans un contexte de forte tension sur le marché du travail. Or l’individu aspire aujourd’hui à faire librement des choix de vie avec un mode de travail qui s’adapterait à ses besoins et à ses aspirations.

Nouveaux motifs d’insatisfaction

Pour le salarié, la découverte du new normal au travail est à la fois source de nouvelles satisfactions et motivations, avec la possibilité de mieux articuler vie personnelle et vie professionnelle, d’être plus autonome vis-à-vis de son collectif de travail et plus efficace dans son travail. Cependant, les nouveaux modes de travail signifient également l’apparition de nouveaux motifs d’insatisfaction : microagressions ou tensions liées à un mauvais usage des technologies de l’information dans le collectif, sentiments d’injustice, ou encore règles du travail vécues comme absurdes et inopérantes comme le souligne un manager interrogé :

« Si on doit venir sur site, il faut qu’il se passe quelque chose de particulier, il faut qu’il y ait une expérience, il faut que la collaboration soit au top du top pour qu’il y ait un véritable intérêt, une vraie valeur ajoutée. »

Faute d’une reconception concrète des règles de management, le new normal au travail s’avère donc plutôt décevant autant pour l’individu et le collectif que pour l’entreprise/administration. L’individu passe par une palette d’émotions négatives (ennui, inquiétude, méfiance, accablement, tristesse, colère, etc.). Quant au collectif, il est confronté à des difficultés dans le travail au quotidien pour mener son activité, pour communiquer, pour intégrer les nouveaux salariés, pour le management et pour le travail en flex-office.

Enfin, pour l’entreprise/administration, le new normal la conduit certes à gagner peut-être une efficacité et une productivité de court terme mais sur le moyen terme, les collaborateurs/agents constatent une chute de l’efficacité avec une augmentation des démissions, un désengagement, une perte de la sérendipité, une perte de connaissances et d’expérience et plus généralement une baisse de la performance collective au travail. Un manager que nous avons interrogé se montre particulièrement critique :

« Je pense que le télétravail, c’est même_ une perte de savoir informel_. Quand je suis avec mon collègue en face sur un travail ou que je dois travailler avec telle ou telle entité d’un autre établissement, ces échanges informels me permettent de me dire “ah oui mais attends, j’ai déjà fait ça il y a quelque temps, et puis appelle un tel parce que tu peux gagner du temps”, etc. »

En somme, le new normal au travail est aujourd’hui un vrai défi pour les entreprises et administrations : celui de prendre en compte, enfin, que le déploiement massif de technologies de l’information au quotidien comme dans la vie professionnelle a changé la façon de répondre aux problèmes de l’action collective.

Si l’organisation est une « réponse au problème de l’action collective », comme l’écrivaient les sociologues Michel Crozier et Erhard Friedberg dès 1977, il est temps désormais de réaliser que l’organisation du travail actuelle dans de nombreuses institutions ne permet plus de mener une action collective efficace.

 

Lire : The Conversation du 11 septembre

 

Jean-Philippe Behr

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