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Nos boîtes aux lettres se vident

« Sans courrier, on se sent abandonné »

Le sociologue Anthony Mahé analyse notre attachement aux lettres personnalisées.

« Le papier est porteur de quelque chose de solennel », souligne le sociologue Anthony Mahé, directeur de la Connaissance au cabinet Eranos.

 

Le sociologue Anthony Mahé, 38 ans, est directeur de la connaissance au cabinet de conseil Eranos, qui vient de réaliser, pour La Poste, une étude sur notre rapport au courrier papier et au numérique à l’heure de la « dématérialisation des communications ».

 

Comment réagissent les usagers quand ils ouvrent leurs boîtes privées de courrier ?

ANTHONY MAHÉ. Il y a un peu de déception, comme la perte de quelque chose. On se sent un peu abandonné, une impression encore plus forte en province qu’à Paris, car il n’y a pas le même affect pour le facteur qui a un rôle de socialisation. Les courriers qui restent sont souvent les factures, les déclarations d’impôts, les PV à payer, ce qui donne à la boîte aux lettres un petit côté angoissant. Les gens regrettent de ne plus recevoir de cartes postales. Ce n’est pas une question de génération. Les jeunes de 17-18 ans sont conscients que cela a de la valeur pour leurs parents et grands-parents.

 

Pourquoi est-on si attaché au courrier personnalisé ?

 

On se rend compte de l’effort qui a été fait par l’expéditeur, on a l’impression d’avoir été pris en considération. Il y a l’esprit du don qui est là, comme on dit en anthropologie. Quand on reçoit un courrier, ce qui est d’abord important, c’est l’expérience, le rituel inscrit dans notre culture qui va ensuite créer une bulle d’attention. On se déplace mécaniquement à la boîte, on remonte à la maison avec ses enveloppes…

 

Quelle différence entre une lettre et un message numérique ?

 

Le papier est porteur de quelque chose de solennel. Dans le brouhaha numérique, le message du courrier sort du lot. On va y accorder plus d’attention, on est plus concentrés à travers ce support. Quand on lit un courrier, quand on feuillette un catalogue, on ne fait pas deux choses à la fois. En revanche, quand on reçoit une notification sur son portable, on discute, on mange…

 

Pourtant, la dématérialisation gagne du terrain…

 

Oui, mais pour les messages importants, certaines entreprises, notamment des banques et des assureurs dans la gestion de leurs comptes premium, ont compris qu’il était préférable d’utiliser le papier, qu’il fallait plutôt adresser un courrier qu’un mail. Une marque de luxe, ayant perçu la charge symbolique du courrier personnalisé, a même envoyé une carte écrite à la main à ses clients.

 

Croyez-vous qu’un jour on n’ouvrira plus sa boîte aux lettres ?

 

Je ne pense pas. Ce rituel n’est pas menacé, on aura toujours besoin que ça existe, reste à savoir dans quelles proportions. C’est comme avec la photographie : avec le numérique, on croyait que les tirages, les albums allaient disparaître. Ce n’est pas le cas : il y a un regain d’intérêt pour le Polaroid, un système hybride est né avec le développement d’applications pour faire imprimer ses clichés.

 

Lire : Le Parisien du 27 août

 

Jean-Philippe Behr

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