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Axel Springer et l’Allemagne

Le nouvel immeuble du groupe de presse allemand Springer et le souvenir d’un des acteurs majeurs de la guerre froide à Berlin

 

Axel Springer, magnat de la presse allemande, est un personnage incontournable de l’histoire contemporaine allemande. Ses prises de positions en faveur de la réunification n’effacent pas celles, à l’encontre d’une jeunesse communiste et socialiste qui se solderont par une tentative assassinat.

 

Le nouvel immeuble du groupe de presse Springer signé par l’architecte Rem Koolhas fait sensation à Berlin. Inauguré le 6 octobre avec ses 45 mètres de hauteur et ses 52 000 m2, il peut accueillir jusqu’à 3500 personnes au travail, un pari téméraire à l’heure d’une crise des médias qui ne faiblit pas et des interrogations sur la nécessaire réorganisation du travail en temps de pandémie. Mais le groupe Springer s’inscrit dans le paysage berlinois avec fracas depuis les années 1950 lorsqu’il fait construire le siège de son groupe de presse, inspiré par l’immeuble du Daily Mirror à Londres, le long du Mur de Berlin côté Ouest avec l’affirmation qu’il incarnait un manifeste du monde libre, un « phare de la liberté » et un artefact de propagande par l’architecture. Cet immeuble clair inauguré en 1966 semble bien modeste aujourd’hui mais à l’époque, il narguait ostensiblement l’Allemagne de l’Est qui devait désormais compter avec ce gratte-ciel libéral dans son horizon physique et peut-être aussi dans son horizon d’attente.

 

Axel Springer est une légende humaine dans l’histoire allemande. Entrepreneur redoutable et admiré, il fait l’objet de critiques aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest. Avec une agressivité commerciale et politique sans vergogne, il tente de s’ouvrir une place sur le marché des pays de l’Est en proposant une solution de réunification directement au Kremlin. Après son échec cuisant à éteindre la guerre froide à lui tout seul, il opère un retournement radical pour militer contre la RDA et pour la réunification allemande sans ménager ses efforts, avec l’architecture encore pour arme de combat. Comme nous le rappelle Valérie Robert dans la Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, il fait édifier un monument à l’ombre de son siège en hommage à Reinhold Huhn abattu en 1963 alors qu’il tentait d’aller cherche sa famille de l’autre côté du Mur au moyen d’un tunnel qu’il avait creuser lui-même. Mais Springer agace à l’Ouest aussi par sa position dominante et fait l’objet d’attaques régulières et particulièrement de la part des étudiants socialistes qui considèrent le groupe Springer comme une menace contre la démocratie allemande après la tentative d’assassinat du militant marxiste Rudi Dutschke, survenue après une campagne dans le Bild Zeitung de Springer qui titrait : « Qu’attend-on pour mettre à la raison un dangereux individu qui déshonore notre ville ? ». Axel Springer n’aimait pas les communistes et encore moins la jeunesse chevelue et militante des années 1960. Une puissance médiatique et ses dérives évoquées directement par Heinrich Böll dans son roman _L’honneur perdu de Katarina Blum_en 1974, immédiatement adapté au cinéma, mettant en scène la destruction d’une femme ordinaire par les tabloïds désignant sans ambiguïté le groupe d’Axel Springer.

 

A l’Est Springer est considéré comme une des incarnations les plus menaçantes de la force de frappe occidentale, un despote impérialiste et l’utilisation insistante de son second prénom « César », ne laisse aucune place à l’ambiguïté.  Les batailles médiatiques et architecturales se multiplient de part et d’autre du Mur de Berlin, jusqu’à sa chute, avec un personnage incontournable : Axel Springer, mort en 1985, mais entretemps devenu un acteur médiatique et monumental de l’histoire allemande.

 

Liens : 

 

Lire : France Culture du 27 octobre

 

Jean-Philippe Behr

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