CCFI

En France, une mutation dans la douleur pour la presse française

Malgré une hausse des abonnements numériques, peu de médias français sont épargnés par les réductions massives d’effectifs et l’effondrement des ventes en kiosque.

 

C’est à bord de grandes charrettes que la presse française a pris la direction des plages à la fin de la saison 2018-2019. Des carrioles de plans de départs volontaires, de plans de sauvegarde de l’emploi et de ruptures conventionnelles collectives avant la pause estivale. En vrac : 386 suppressions de postes annoncées dans le groupe Ebra (qui rassemble entre autres l’Est républicain, le Progrès, les Dernières Nouvelles d’Alsace…), 132 à Sud-Ouest, ou 41 à l’Humanité. La crise, liée à la baisse des ventes papier, n’épargne pas les entreprises puissantes : le Figaro a expliqué vouloir se séparer de 30 à 40 journalistes via des départs anticipés à la retraite et des congés de mobilité.

 

La presse magazine est également touchée. Passé le 30 juillet sous le contrôle d’Alain Weill, le fondateur de BFM TV, l’hebdomadaire l’Express vise une réduction d’effectifs d’une quarantaine de personnes pour sa nouvelle formule prévue à l’automne. Une coupe similaire est en cours chez CMI France (Elle, Public, Télé 7 Jours…), pôle de magazines racheté par le Tchèque Daniel Kretinsky. Des départs massifs sont à attendre au sein des titres de Mondadori (Grazia, Science & Vie…) repris récemment par Reworld Media. Quant aux agences de presse, elles souffrent par répercussion des difficultés de leurs clients éditeurs : l’AFP et Reuters envisagent 95 et 26 départs volontaires.

 

Perte de chiffre

 

Ce mouvement de fond continue de faire chuter le nombre de titulaires de la carte de presse en France. Selon le baromètre annuel des Assises du journalisme, établi par le chercheur spécialisé Jean-Marie Charon, il a diminué de près de 7 % en dix ans. La chute atteint presque 10 % dans la presse quotidienne régionale (PQR). La fuite des annonceurs vers Google, Facebook et Amazon n’arrange rien à ce tableau déprimant. Selon l’Institut de recherches et d’études publicitaires (Irep), les recettes publicitaires nettes du secteur ont diminué de 3,2 % au premier trimestre 2019, pour tomber à 370 millions d’euros. En résumé, les entreprises de presse perdent du chiffre d’affaires à tous les étages.

 

Ce tour d’horizon apocalyptique cache pourtant un phénomène positif : la diffusion payée des quotidiens nationaux (ventes et abonnements physiques et numériques) repart à la hausse. Les chiffres publiés début août par l’ACPM, l’organisme de certification du secteur, le montrent. Entre janvier et juin, le Monde a progressé de 11 % (314 000 unités par jour en moyenne), Libération de 8 % (72 000), le Figaro de 3 % (322 000), les Echos de 1 % (132 000) et la Croix de 0,1 % (90 000)… Deux exceptions à cette tendance (sans compter l’Huma, qui ne publie pas ses chiffres) : l’Equipe baisse naturellement (-4 %, 230 000) après un premier semestre 2018 exceptionnel, poussé par une Coupe du monde de football qui a vu briller la France. Et le Parisien-Aujourd’hui en France reste dans le dur avec une chute de plus de 7 % (287 000 unités quotidiennes).

 

Filouterie

 

Pour tous les journaux en croissance de diffusion, le schéma est le même. Les ventes en kiosque et les abonnements s’effondrent, mais les recrutements d’abonnés numériques au mois compensent. Dans son comptage de la diffusion des quotidiens, l’ACPM estime qu’un abonnement numérique – le nouveau graal commercial de la presse – équivaut à une unité quotidienne vendue. Comme un exemplaire papier écoulé en kiosque (physique ou numérique) ou déposé dans la boîte aux lettres d’un client abonné, donc.

 

Cette filouterie permet aux patrons de journaux d’aller draguer les annonceurs avec des graphiques en hausse. Elle n’en correspond pas moins à un virage dans le secteur. Exemple avec les Echos : selon les derniers chiffres, leurs abonnés papier ont diminué de 8 % sur un an (ils sont désormais 40 000) et leurs ventes physiques au numéro de 12 % (8 500). Mais dans le même temps, leur nombre d’abonnés numériques a augmenté de 12 %, passant de 41 500 à 47 000. Suffisant pour afficher une hausse globale des ventes.

 

Quinze ans après le début d’une crise liée à l’arrivée du numérique, la presse quotidienne nationale (PQN) aurait-elle enfin touché le fond de la piscine et commencé à rebondir ? On aurait tort de s’emballer trop vite. En effet, les hausses de diffusion sont loin de se traduire dans les comptes de résultat : vendre à un lecteur un abonnement numérique à 10 euros par mois, doté d’un accès total au contenu, rapporte bien moins d’argent que de lui mettre dans les mains 10 exemplaires papier du journal à 2 euros l’unité… D’où le serrage de vis qui continue dans les rédactions françaises. Par ailleurs, si la PQN a quelque motif d’espoir, la presse quotidienne régionale continue de plonger. En 2018, selon l’ACPM, aucun titre de cette catégorie n’a pu afficher une diffusion en hausse. Quant à la presse hebdomadaire généraliste, représentée par le Point, l’Obs, l’Express, Marianne ou Valeurs actuelles, elle était en chute libre, avec des baisses vertigineuses allant de 8 % à 19 % sur un an.

 

Lire : Libération du 19 août

 

Jean-Philippe Behr

Nos partenaires

Demande d’adhésion à la CCFI

Archives

Connexion

Vous n'êtes pas connecté.

Demande d’adhésion à la CCFI