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Google enterre définitivement son projet de suppression des cookies tiers dans Chrome

Cinq ans après avoir annoncé qu’il allait supprimer, dans son navigateur, ces petits fichiers permettant de suivre l’activité des internautes et de cibler efficacement les publicités, le groupe a mis fin à son projet. Au grand soulagement de nombreux acteurs de l’industrie.

Google aura donc fini par manger l’intégralité de son chapeau sur les cookies tiers. Cinq ans après avoir annoncé qu’il allait supprimer, dans son navigateur Chrome, ces petits fichiers permettant de suivre l’activité des internautes et de cibler efficacement les publicités, le géant de Mountain View vient de jeter une ultime pelletée de terre sur son projet et de l’enterrer définitivement.

« Nous avons décidé de maintenir notre approche actuelle pour les cookies tiers dans Chrome », a sobrement souligné Anthony Chavez, vice-président responsable de Privacy Sandbox, entité consacrée à la gestion des données personnelles, dans un message publié sur le blog de Google.

Parti avec un train de retard sur Safari (Apple) qui avait pris position sur le sujet dès 2017, le leader mondial de la publicité en ligne n’aura cessé de s’emmêler les pinceaux sur ce sujet très clivant dans l’industrie. Notamment du côté des éditeurs et des adtechs rivales.

Les adtechs en hausse à Wall Street

« C’est un fiasco assez invraisemblable qui a mobilisé l’attention de toute l’industrie pendant cinq ans, assène Alain Lévy, président du groupe français Weborama. C’est aussi une forme de soulagement, car on sort de l’incertitude. Pour les éditeurs, c’est une excellente nouvelle. Quant aux annonceurs, les adtechs comme nous allons pouvoir reconstruire des stratégies réellement ambitieuses avec eux. »

Depuis l’annonce, les adtechs Criteo et The Trade Desk grimpent d’ailleurs à Wall Street. « Il est clair que les perspectives divergent » entre « éditeurs de contenus, développeurs, régulateurs et l’industrie publicitaire » quant aux modifications éventuelles à apporter aux cookies, a, de son côté, reconnu Anthony Chavez, faisant aussi valoir que le paysage réglementaire a « considérablement évolué » depuis les premières annonces de son groupe en 2020.

Reste qu’à ce moment-là déjà, le leader mondial de la publicité en ligne avec 265 milliards de dollars de revenus en 2024 – moins dépendant des cookies grâce aux données propriétaires puisées sur ses services logués (Gmail, Maps…) -, se trouvait dans l’obligation de proposer une solution alternative crédible pour les autres acteurs de la publicité numérique. Sous peine de voir les antitrust sévir.

Nouvelle approche en 2024

Mais Google n’est jamais parvenu à affiner suffisamment sa technologie alternative, baptisée « Privacy Sandbox », qui devait permettre aux adtechs et éditeurs évoluant sur l’« Open Web » [c’est-à-dire tout ce qui ne relève pas des écosystèmes fermés, dit aussi « walled garden », à l’instar de Google ou Meta, NDLR] de ne pas être trop affaiblis, ou tout du moins de survivre à la fin des cookies tiers sur Chrome.

L’été dernier, Google a opté pour une nouvelle approche. Plutôt que supprimer les cookies tiers, le groupe a fait savoir qu’il allait proposer aux utilisateurs de Chrome « de faire un choix éclairé, qui s’appliquera à l’ensemble de leur navigation sur le Web » en leur proposant d’accepter ou non les cookies. Une décision qui a ulcéré de nombreux acteurs de la publicité en ligne et éditeurs qui y voyaient là une très grande similitude avec le dispositif ATT (« App Tracking Transparency »).

Mis en place en 2021 par Apple au nom de la protection de la vie privée – l’un de ses grands axes marketing -, ce mécanisme force les éditeurs d’applications mobiles à recueillir le consentement des utilisateurs afin de pouvoir collecter et partager leurs données avec des tiers.

« Une conséquence directe du jugement »

Mais fin mars, l’Autorité de la concurrence française a condamné le géant de Cupertino à 150 millions d’euros d’amende pour abus de position dominante, faisant valoir que « les modalités de mise en œuvre de ce dispositif peuvent être anticoncurrentielles, car celles-ci compliquent le parcours du consentement des utilisateurs des applications tierces hébergées sur son magasin d’applications et ne sont pas neutres. »

Un jugement qui a pesé dans la décision de Google – alors que d’autres procès analogues vont se tenir en Europe -, et explique le timing de l’annonce. « C’est une conséquence directe du jugement », estime Nicolas Rieul, président de l’Alliance digitale, l’un des organismes ayant saisi l’antitrust tricolore sur ATT. « Indirectement, le contexte judiciaire aux Etats-Unis a sans doute aussi incité Google à mettre définitivement fin à la suppression des cookies tiers car quelle que soit la forme que cela allait prendre, cela risquait de renforcer encore sa position dominante sur le marché de la publicité en ligne ».

Et Google a énormément à perdre en ce moment. Jeudi dernier, la justice américaine l’a condamné pour avoir « sciemment entrepris une série d’actions anticoncurrentielles » qui lui ont permis de dominer le marché de l’adtech. Ce qui pourrait déboucher sur un démantèlement de sa suite adtech. Et cette semaine, le géant est de nouveau présent dans les prétoires outre-Atlantique, cette fois pour tenter de sauver Chrome – pour lequel il a déjà été condamné l’été dernier – du démantèlement.

Lire : Les Echos du 23 avril

Jean-Philippe Behr

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