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La Commission européenne recule encore sur la loi déforestation

Bruxelles propose de reporter d’un an sa loi contre la déforestation, adoptée en 2023. Des problèmes techniques sont invoqués, mais ce report suscite des soupçons de pressions politiques, notamment de la part des Etats-Unis et du Brésil.

La Commission européenne a proposé ce mardi de reporter encore une fois d’un an sa loi phare contre la déforestation, évoquant des problèmes techniques. Un nouvel épisode dans la saga mouvementée de ce texte, adopté en 2023, mais qui peine à se concrétiser face aux pressions internationales.

Cette loi, sur laquelle l’industrie européenne est très partagée, vise à interdire l’importation dans l’UE de produits comme le café, le cacao, le soja ou l’huile de palme provenant de terres déboisées après 2020. Elle doit entrer en vigueur à la fin de l’année, après avoir déjà été reportée d’un an.

Elle implique des systèmes de suivi sophistiqués pour se conformer aux règles, sous peine d’amendes. Les importateurs doivent collecter des données précises identifiant les parcelles où les marchandises ont été cultivées.

Coïncidences douteuses

« Malgré nos efforts de simplification, nous pensons toujours que nous ne pouvons pas éviter des perturbations pour nos entreprises et nos chaînes d’approvisionnement, a expliqué ce mardi la commissaire européenne à l’Environnement, Jessika Roswall, visiblement très mal à l’aise.

« Nous avons des inquiétudes concernant le système informatique, compte tenu de la quantité d’informations qui y seront intégrées », a-t-elle poursuivi, déglutissant à plusieurs reprises comme quelqu’un ayant du mal à dire quelque chose. « C’est pourquoi nous solliciterons auprès des colégislateurs un report d’un an. » Le temps pour la Commission d’examiner les différents risques que cela pose.

Curieusement, le report intervient après une série de critiques acerbes de la part des Etats-Unis et d’autres partenaires commerciaux de l’UE, comme le Brésil et l’Indonésie, deux des plus farouches opposants à ce texte. D’aucuns soupçonnent ainsi – sans en avoir la preuve – une manoeuvre politique douteuse de la part de la Commission. Ils pointent que le Brésil est partie prenante du récent accord commercial Mercosur et que – coïncidence ou pas – l’UE a annoncé, ce mardi, avoir signé un vaste accord de libre-échange avec l’Indonésie.

Qui plus est, cette loi est aussi abordée dans l’accord commercial conclu cet été entre l’UE et les Etats-Unis. Il précise que Bruxelles accepte de « travailler pour répondre aux préoccupations des producteurs et des exportateurs américains » concernant cette loi.

« Non, ce n’est pas lié du tout, a répondu Jessika Roswall, sourire crispé, lorsqu’un journaliste le lui a fait remarquer. C’est une discussion que nous avons eue avec de nombreux membres, pas seulement avec les Etats-Unis, mais dans le monde entier. Je reviens juste du Japon et avant j’étais en Malaisie pour en discuter. »

La commissaire a tenu à réaffirmer l’engagement européen. « C’est une initiative clé pour lutter contre la déforestation, et nous restons très engagés à continuer ce combat. » Mais apparemment, pas tout de suite…

Quoi qu’il en soit, pour voir le jour, le report nécessite le feu vert des Etats membres et du Parlement. « Pour que Renew vote en faveur d’un tel report, il faudrait qu’il y ait bien un problème technique indépassable, ce dont aujourd’hui, on est très, très, très loin d’être convaincus », a prévenu Pascal Canfin, jugeant « assez lamentable que la Commission, cinq ans après avoir proposé elle-même cette législation, soit incapable techniquement de la mettre en route ».

Pressions inflationnistes

L’eurodéputé Renew n’a pas exclu un « prétexte ». Et selon lui, s’il s’avérait que l’UE repousse le texte parce que les Etats-Unis n’en veulent pas, alors il s’agirait d’un « abandon de souveraineté », qui serait « l’inverse de l’Europe puissance, c’est-à-dire l’impuissance, la soumission européenne. On a fait l’Europe exactement pour le contraire ! »

Une fois la proposition présentée, les Vingt-Sept et le Parlement négocieront la version finale de la loi, ouvrant potentiellement la voie à de nouvelles modifications. Beaucoup estiment qu’ils pourraient faire pression pour de nouvelles simplifications des règles et potentiellement l’introduction déjà réclamée d’une « catégorie à risque zéro » pour certains produits ou pays, afin de réduire les formalités administratives pour les pays de l’UE.

D’un autre côté, ce retard pourrait néanmoins atténuer les pressions inflationnistes sur les prix alimentaires pour les consommateurs, en apaisant les inquiétudes quant à la disponibilité de grains de café et de fèves de cacao sur un marché mondial tendu.

Surtout, il pourrait nuire à la crédibilité de l’UE dans la mise en oeuvre de ses règles climatiques. D’autant plus qu’il intervient dans un moment symbolique fort, à l’heure où l’Europe défend déjà péniblement ses ambitions climatiques à New York. Et à quelques semaines de la COP30 au Brésil, qui se tiendra à la lisière de la forêt amazonienne, régulièrement pointée du doigt pour sa déforestation…

Lire : Les Echos du 23 septembre

Jean-Philippe Behr

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