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La crise de Presstalis donne des sueurs froides à la presse écrite

Presstalis, société qui distribue 75% de la presse écrite, joue ces prochaines semaines sa survie et certains éditeurs redoutent son dépôt de bilan. De quoi craindre une menace réelle pour tout le secteur. Un directeur de publication tire la sonnette d’alarme pour LCI.

 

Et si la France devenait le premier pays sonnant le glas de la presse écrite ? L’hypothèse prêterait à sourire si elle n’était pas aussi concrète. Mi-février, un communiqué du Syndicat des éditeurs de presse (SAEP) sonne le tocsin, demandant une réunion d’informations à la direction de MLP (Messageries lyonnaises de presse), concurrent de Presstalis, leader de la distribution de la presse au numéro en France (soit ceux qui amènent nos journaux en kiosque) pour éviter une possible rupture de distribution des clients de Presstalis et donc pour absorber tous les titres qui se retrouveraient après liquidation sans distributeur (un investissement qui leur coûterait 10 millions d’euros, selon nos informations). En d’autres termes, le risque de ne plus retrouver son quotidien ou son magazine dans un kiosque de journaux n’a jamais été aussi menaçant. Une affaire de mois, pour être encore plus précis.

 

Selon un article de Stratégies, l’entreprise de distribution joue sa survie ces prochaines semaines. « Certains éditeurs de presse ont déjà anticipé son dépôt de bilan, tandis que d’autres veulent encore croire à la pérennité d’un système qui a fait ses preuves mais prend l’eau de toutes parts », avertit le magazine. Et cette crise sévère promet d’entraîner une pléthore de conséquences, comme du chômage à moyen et long terme : faillites de sociétés d’édition, d’imprimeurs, de pelliculeurs, de brocheurs, de fabricants de papier, d’attachés de presse, de marchands de journaux. Une addition étourdissante qui pourrait s’élever à des dizaines de milliers de chômeurs.

 

« Un monde sans presse serait terrible, mais l’hypothèse n’a jamais été aussi plausible », confirme Thomas Aidan, directeur de la publication de la revue de cinéma La Septième Obsession (20.000 abonnés et ventes en moyenne, tirage à 60.000), sollicité par LCI. Son magazine bimensuel est diffusé par Presstalis depuis son lancement en 2015 et, pour celui qui croit dur comme fer à la presse imprimée, le constat est pour le moins amer : « Ce qui bloque chez Presstalis, constate-t-il, c’est qu’on a face à nous des groupes de gens qui ne veulent pas trouver un accord. La société a frôlé le dépôt de bilan de justesse en 2018, à cause d’une gestion en interne déplorable : pression de la CGT du livre vis-à-vis des salaires et des avantages afin de préserver un système vieux de l’après-guerre, investissements flous sur le numérique, gestion financière ambiguë de la part des dirigeants, incompréhension sur les frais de distribution – certains gros éditeurs ont des réductions, alors que nous, petits éditeurs, nous payons excessivement nos frais de distribution – mais aussi sur les délais de paiement… »

Une omerta « déplorable »

 

Fin 2019, des bruits de couloir préoccupants se font entendre, « la direction aurait été en recherche active de 60 à 80 millions d’euros, poursuit le directeur de publication. La situation est désormais calamiteuse, et tout le monde dans le métier de la presse, est à cran, ces dernières semaines. Nous n’avons aucun retour – et ceux que nous avons sont tous contradictoires. »

 

Dans son article, Stratégies évoque en interne une bataille d’influence sur fond de démissions fracassantes, d’oppositions entre branches magazine et quotidienne, de frictions entre petits et gros éditeurs… Pour ceux qui travaillent avec cette entreprise de distribution, Presstalis reste « une entité tellement floue qu’ils ne savent même pas ce qui peut se passer en cas de dépôt de bilan. »

 

« Presstalis distribue 75% de la presse et, qu’on le veuille ou non, n’est pas un prestataire classique, c’est la racine de la distribution de la presse en France. S’ils tombent, tout le monde tombe. Personne n’en parle publiquement, il y a une omerta déplorable. »

Crise emblématique des « Cahiers du Cinéma »

 

La crise que traverse Presstalis est d’autant plus préoccupante qu’elle survient dans un contexte difficile pour la presse écrite. Premier signe alarmant : le fossé se creusant entre les médias traditionnels et les jeunes.

 

Selon les résultats de l’étude Kantar pour le journal La Croix sur la confiance des Français dans les médias, à peine 1% des 18-24 ans déclarent consulter les quotidiens nationaux print pour approfondir une information : « Tout le monde n’a pas voulu voir que la presse papier était en déclin, et personne n’a essayé d’adapter de manière intelligente la société à un marché qui a grandement changé sur la décennie 2010, constate Thomas Aidan. On parle des jeunes qui désertent la presse, mais ce sont les gens de manière générale, qui regardent leurs réseaux sociaux et pensent être suffisamment informés. »

 

Autre symbole des convulsions agitant la presse, l’exemple des Cahiers du Cinéma s’avère on ne peut plus probant. Début février, la revue mythique était rachetée par un collectif de vingt actionnaires. Jeudi 27 février, l’intégralité de la rédaction a démissionné, selon un communiqué qui, selon une source proche de la rédaction, demande toutefois à être nuancé.

 

« Les gens sont tristes pour la fin des Cahiers du cinéma, un fleuron de la presse française, qui a presque 70 ans, mais combien les achètent ? demande Thomas Aidan. Le titre a perdu 30 à 40% de sa diffusion en dix ans. On critique beaucoup les puissances financières qui rachètent les médias, mais c’est parce que ces derniers sont terriblement affaiblis (…) Il faut enseigner aux plus jeunes le fait qu’il faut rémunérer une information qualitative, que c’est essentiel pour la liberté d’expression et pour le pluralisme, que la presse n’est pas un trait d’époque, que c’est un espace d’intelligence universel, martèle-t-il. En abandonnant le quatrième pouvoir (la presse, le nôtre), on offre aux plus puissants encore plus de pouvoir. »

« Que fait le gouvernement ? »

 

C’est pourquoi les difficultés rencontrées par Presstalis sont encore plus révélatrices d’un climat délétère. La crise actuelle que subit le distributeur aurait d’ailleurs pu être évitée avec une gestion plus saine et cohérente : « Ce qu’il faudrait c’est avoir une vision. Comment, tous ensemble, on imagine la presse demain. »

 

Quelle solution alors pour sortir la presse écrite de son extinction ? Selon le directeur de publication, « il faudrait que l’Etat « aide » la presse, pas seulement en finançant allègrement par des aides publiques les titres IPG (L’Express, Le Point, Le Monde, par exemple), mais aussi en incluant les revues culturelles, en accompagnant les lancements, en renforçant les diffusions, en aidant à la prise de risque, etc. Il faudrait aussi initier fortement les gens à l’information – au fait que cela a un coût de produire des textes, de faire des reportages, de faire des enquêtes, de prendre le temps de l’analyse. Aujourd’hui, on a l’impression, que faire du journalisme devient un hobby, une sorte d’activité en extra. Comment ferons-nous, si demain nous n’avons plus accès à une information pensée, bien diffusée ? Que fait le gouvernement ? Que font les gens, les lecteurs ? Comment réagir ? » La presse ne peut donc exister sans lecteurs qui ont désormais le pouvoir de « sauver » le secteur : « Nous sommes de nombreux éditeurs à avoir des idées pour relancer la machine. Le gouvernement nous aidera-t-il dans notre démarche sincère et démocratique ? Quel gâchis ce serait de devoir tout abandonner », s’inquiète-t-il.

 

Lire : LCI du 28 février

 

Jean-Philippe Behr

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