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La presse écrite à l’assaut des plateformes et de la télévision

Profitant de l’appétit des téléspectateurs pour les histoires vraies, des journaux comme « Le Parisien », qui a investi dans la société de production StudioFact, ou « Vanity Fair » font adapter certaines de leurs enquêtes en documentaire ou en fiction. Une pratique déjà bien ancrée aux Etats-Unis.

C’est l’histoire d’un escroc qui soutire des millions à des grandes entreprises françaises. Deux ans avant d’être porté à l’écran dans « Le Masque », un documentaire des journalistes Olivier Bouchara et Jérôme Pierrat, sorti sur Netflix début décembre, ce fait divers a été raconté dans une enquête publiée dans la version française du magazine « Vanity Fair ».

Le deuxième projet de ce type tiré du mensuel, après « Les Rois de l’arnaque », un documentaire sur l’escroquerie à la taxe carbone, sorti l’année dernière et un temps classé dans le Top 10 de Netflix en France. Les droits de deux autres enquêtes, sur des faux agents de la DGSE et sur le paquebot rempli de cocaïne Trudy, ont aussi été cédés.

Nouvel actif financier

Ce genre d’aventure fait rêver les éditeurs de presse, de plus en plus nombreux à vouloir donner à leurs articles une seconde vie sur les plateformes, à la télévision ou au cinéma. Et transformer leurs archives, pleines de bonnes histoires, en un trésor de propriétés intellectuelles, ou « IP » en anglais, qui constituent un nouvel actif.

En France, l’entrée au capital du « Parisien » (groupe Les Echos – Le Parisien) dans StudioFact en est le meilleur exemple. En novembre, le quotidien a pris 30 % des parts de cette compagnie de production spécialisée dans les histoires vraies. Depuis septembre 2021, quand un partenariat entre les deux sociétés a été signé, huit reportages issus d’enquêtes du « Parisien », principalement des faits divers, ont été diffusés sur France 2, M6, RMC Story ou LCP. Cinq autres sont en production, indique StudioFact. « Je ne pensais pas que ça prendrait si vite », avoue la directrice générale du Parisien-Aujourd’hui en France, Sophie Gourmelen.

Deux projets de fiction tirées du « Parisien » sont également en développement. Un cap important, car les budgets y sont plus élevés. Pour un reportage de télévision, le tarif syndical payé par les diffuseurs est d’environ 1.700 euros la minute, soit près de 90.000 euros les 52 minutes. Le budget d’un documentaire va de 60.000 euros, au plus bas, à 500.000 euros pour un projet important pour une plateforme, indique StudioFact. Un budget de cinéma se chiffre en millions d’euros.

« Le Parisien » a tout à gagner à donner une seconde vie à ses investigations déjà réalisées et à diversifier ses sources de revenus, même ​si l’apport de cette nouvelle activité reste marginal. « On espère que cela va grossir rapidement », parie Sophie Gourmelen, qui mise sur la forte demande des chaînes et des plateformes. « Les diffuseurs ont besoin de proposer des programmes concernants, et il n’y a pas plus concernant que les histoires vraies », observe Roxane Rouas-Rafowicz, la coprésidente de StudioFact. En entrant au capital de la société de production, « Le Parisien » fait aussi le pari de l’aider à accélérer le développement de son catalogue. Un futur actif pour le journal, dont il pourra tirer des revenus étalés dans le temps, au fil des diffusions.

Beaucoup d’appelés, peu d’élus

« C’est aussi une manière de fidéliser nos journalistes », pointe Sophie Gourmelen. Selon leur contribution et le budget global de la production, ils peuvent être payés entre quelques centaines et quelques milliers d’euros pour des productions télévisées. Dans le secteur, une simple option posée pour un article, en vue d’une adaptation pour une plateforme, peut rapporter quelques milliers d’euros. Si le projet voit le jour, dans le cas d’un documentaire ou d’une fiction d’une grande plateforme, la rémunération du journaliste comme consultant dépassera les 10.000 euros, voire quatre ou cinq fois plus s’il intervient comme coscénariste. Tout dépend là encore du budget de production.

La stratégie ébauchée par « Le Parisien » et « Vanity Fair » en France est appliquée à une large échelle aux Etats-Unis. Le groupe Condé Nast cède depuis longtemps les droits de ses enquêtes, comme pour le film « Argo », tiré d’un article de « Wired » de 2007, ou « The Bling Ring », issu d’un article de 2010 de « Vanity Fair ». Cette politique a pris une autre ampleur avec la création en 2020 de cinq studios associés aux magazines « GQ », « The New Yorker », « Vanity Fair », « Vogue » et « Wired »​. « Nous avons 70 projets d’oeuvres audiovisuelles en développement et peut-être de films pour les salles », déclarait récemment aux « Echos » le PDG du groupe, Roger Lynch. ​Le « New York Times », qui a développé une série en franchise en plusieurs langues pour Amazon Prime autour de ses chroniques amoureuses « Modern Love », et le « New York Magazine », derrière la série « Inventing Anna », diffusée depuis début 2022 sur Netflix, ne sont pas en reste.

Le rêve hollywoodien fait aussi beaucoup de déçus. Parmi les nombreuses histoires optionnées, seule une poignée finit à l’écran. En décembre 2020, le magazine « Society » avait annoncé la signature d’un partenariat avec Federation Entertainment pour l’adaptation de ses enquêtes, notamment de son investigation best-seller sur l’affaire Dupont de Ligonnès. Aucune nouvelle depuis.

 

Lire : Les Echos du 8 décembre

 

Jean-Philippe Behr

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