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La presse musicale se réinvente face à des vents contraires

Organisation de concerts, digitalisation, changement de périodicité… Les éditeurs de presse musicale panachent les stratégies pour tenir, dans un secteur fragile où seuls les titres plus généralistes, classés « IPG », comme « Les Inrocks » ou « RollingStone », bénéficient d’aides publiques.

Tête d’affiche des Inrocks Festival, qui débute ce mardi, le groupe britannique The Libertines fait aussi la couverture du dernier numéro des « Inrocks ». Le genre de modèle hybride sur lequel mise la maison mère, le groupe Combat détenu par Matthieu Pigasse, qui montre ses ambitions dans l’événementiel en proposant une version élargie sur cinq jours du festival, positionné en pleine fashion week parisienne, au Centquatre et à la Bourse de commerce, avec des concerts à Lille et Toulouse.

D’autres éditeurs de la presse musicale appliquent la même recette, tel Jazz & Cie (« Jazz Magazine », « Jazz News », « Muziq »), qui organise plus de 60 concerts de jazz par an, en plus d’une activité de studio d’enregistrement. Car si l’industrie musicale se porte plutôt bien, les temps sont durs pour les journaux qui la couvrent.

Alors qu’aux Etats-Unis, le groupe Condé Nast a décidé mi-janvier de rapatrier son site musical « Pitchfork » au sein du magazine « GQ », l’écosystème français se réinvente pour retrouver de l’élan, après l’arrêt des concerts durant la crise du Covid, suivi de la flambée des prix du papier et de l’énergie, dans un contexte de raréfaction des kiosques…

Un tiers de la presse musicale menacée

« A peu près un tiers des journaux musicaux risquent de disparaître dans les mois qui viennent », alerte Edouard Rencker, président de Jazz & Cie et du Collectif des éditeurs de la presse musicale (CEPM). Dans un « panorama de la presse musicale » publié à l’automne, le Centre national de la musique (CNM) tirait déjà la sonnette d’alarme, jugeant la situation « particulièrement préoccupante », pour ce secteur d’une cinquantaine de titres en France.

Pour se maintenir à flot, certains éditeurs misent sur la consolidation, source d’économies. Après avoir repris Jazz News en 2019, Jazz & Cie a racheté mi-janvier le titre spécialisé sur le matériel musical « KR home-studio ». « La force des ‘Inrocks’, c’est aussi d’être adossé à Combat, ce qui permet de mutualiser la régie et certaines fonctions support », abonde Emmanuel Hoog, le directeur général du groupe.

La plupart des éditeurs – des petits indépendants, à l’exception de Combat – jouent sur les mêmes leviers : diversification donc (concerts, mais aussi édition de livres, CD, vinyles, etc.), modernisation des formules papier et digitalisation. Les « Inrocks », dont la diffusion est restée stable en 2023 à 35.000 exemplaires selon l’ACPM, sont aussi passés d’hebdomadaire à mensuel en 2021. L’opération a permis de doubler la pagination. « Les annonceurs ont répondu très positivement », se réjouit Emmanuel Hoog. La publicité assure 35 à 40 % des revenus du journal.

Besoin d’aides

La digitalisation est amorcée. Le mensuel « RollingStone » propose un « hebdo digital interactif » à 35.000 lecteurs par mois, en complément de sa parution papier (diffusée à 22.000 exemplaires moyens en 2022, selon l’éditrice Alma Rota). Le titre s’est aussi lancé dans l’audio en 2021 avec des podcasts et une webradio (comme les Inrocks Radio, qui émet sur le Web et en DAB +).

« Les Inrocks » publient des newsletters hebdomadaires, sur un champ culturel différent chaque jour. Grâce au Web, « Jazz Magazine » a ajouté 40.000 exemplaires digitaux trimestriels à ses 30.000 exemplaires mensuels papier. Mais les lecteurs en ligne rapportent peu. Edouard Rencker veut néanmoins développer l’abonnement numérique, avec une future nouvelle version du site qui donnera accès aux archives et à une partie d’un fond de 17.000 photos de jazz.

En fin de compte, Jazz & Cie, « RollingStone » et « Les Inrocks » atteignent l’équilibre, les deux derniers bénéficiant, grâce à leur positionnement généraliste, des aides publiques versées aux titres « IPG » (information politique et générale), contrairement à la presse purement musicale (le caractère spécialisé d’un titre barrant l’accès au statut IPG). Le CEPM demande l’accès à ces aides publiques pour l’ensemble de la presse culturelle, ainsi que la représentation de la presse musicale au CNM.

Le CNM ne soutient pas financièrement ces titres, contrairement au Centre national du cinéma qui aide les revues du 7e art. L’éditrice de « RollingStone », Alma Rota, réclame aussi que le pass culture puisse financer l’achat de presse musicale. Mais jusqu’à présent, les représentants des pouvoirs publics ont eu tendance à répondre en s’inspirant des Stones : « You can’t always get what you want* ».

 

Lire : Les Echos du 24 février

 

Jean-Philippe Behr

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