CCFI

La presse papier aidée au détriment de l’écologie

Un texte actuellement en discussion propose de supprimer l’écocontribution financière pour la presse papier. Un recul dénoncé par les Verts et les collectivités.

Depuis le 1er janvier, tous les éditeurs de presse papier sont censés contribuer financièrement au principe du pollueur-payeur. Cette « écocontribution », à l’instar de celle instaurée sur les emballages, permet de couvrir une partie des coûts de prévention et de gestion des déchets issus de leurs produits. Avant 2023, une très grosse majorité de la presse contribuait en « nature », comme le lui permettait la législation. Chaque année, les journaux pouvaient ainsi se contenter de mettre gratuitement une page de publicité à disposition des éco-organismes. Les lectrices et lecteurs voyaient alors apparaître dans les pages de leurs journaux un encart promouvant le tri et le recyclage.

La loi Agec a mis fin à ce régime d’exception. Mais peut-être pas pour très longtemps… Une proposition de loi, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 31 janvier 2023, prévoit que la presse puisse sortir de la filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) de papiers graphiques. Autrement dit que les éditeurs soient exemptés de toute contribution financière (avec effet rétroactif au 1er janvier 2023). Denis Masséglia, l’un des députés (Renaissance) à l’origine de ce texte, souligne que « la charge que représente ce financement direct pour la presse est estimée entre 15 et 22 millions d’euros ». Or, la presse va mal. « Le prix de la tonne de papier a doublé en un an, pour atteindre près de 900 euros en 2022, ce qui, selon les estimations de la filière, représente un surcoût de 120 millions d’euros », justifie le député, qui prédit un risque de déstabilisation de tout le secteur.

Si la proposition était adoptée, les journaux seraient uniquement obligés de publier un encart « destiné à informer le public sur la transition énergétique en lien avec l’économie circulaire et la préservation de la ressource en eau et de la biodiversité », contre signature d’une convention de partenariat avec l’État. « Toute société de presse qui ne signera pas la convention restera dans la REP et continuera à payer sa contribution en numéraire », assure Denis Masséglia.

Un manque à gagner important pour les collectivités

Si ce texte vise à soulager les éditeurs de presse papier, il est vivement dénoncé par Europe Écologie-Les Verts (EELV) et les collectivités locales. « La philosophie générale du texte est incompatible avec l’ambition écologique, objecte Nicolas Thierry, député EELV-Nupes de la Gironde. Aider une filière en difficulté financière, comme c’est ici le cas pour la presse, ne doit pas se faire au détriment de ses obligations environnementales. » Ce dernier note que c’est la première fois que des producteurs sortent d’une filière du système REP : « C’est un très mauvais signal, à contre-courant de la logique du pollueur-payeur. »

Il alerte aussi sur les conséquences que ce texte ferait peser sur les finances des collectivités : « La presse verse aujourd’hui 3 millions d’euros d’écocontribution aux collectivités pour financer la collecte et le tri du papier. Au 1er janvier 2023, avec la fin prévue de la contribution en nature, les éditeurs auraient même dû verser 17 millions d’euros de plus. »

Les collectivités réunies au sein de l’association Amorce et d’Intercommunalités de France font également part de leurs inquiétudes. Et demandent le retrait du texte « ou à défaut son amélioration ». Elles refusent de devoir « alourdir encore davantage les coûts induits par le traitement et le recyclage des déchets sur les contribuables ».

Un texte qui n’apporte pas de solution sur le plan environnemental

Certains députés, moins hostiles à cette proposition, pointent toutefois le fait qu’elle ne résoudra pas les difficultés que traverse le secteur de la presse. « Ces dispositions ne règlent rien sur le plan structurel en termes d’enjeux et de responsabilités industriels […], juge ainsi Hubert Wulfranc (groupe Communiste-Nupes). Elles n’apportent pas davantage de solutions sur le plan environnemental ni sur celui de la production éditoriale, garante de la liberté d’opinion. »

Jérémy Dousson, directeur général du média indépendant Alternatives économiques, déplore lui aussi l’absence de stratégie globale pour la transition écologique. « L’écocontribution a loupé son objectif si elle visait à réduire le tonnage de papier sur le marché. Elle n’a eu aucun impact sur une baisse du papier. Mais par ailleurs, il n’y a aucun contrôle sur la hausse de la consommation numérique, et l’impact des multiples data center que cela implique. Peut-être que le papier n’est pas le plus néfaste en termes d’environnement », détaille-t-il à Reporterre.

Il souligne enfin le coût administratif énorme de la mise en œuvre de l’écocontribution. À Alternatives économiques, deux personnes se consacrent pendant deux semaines à la déclaration. « Il y a une profusion de dispositifs en tous sens à l’égard de la presse, sans cohérence. Mais seules les plus grosses structures peuvent profiter des aides, par exemple, elles ont les moyens et les effectifs pour se pencher sur ces démarches complexes. »

 

Lire : Reporterre du 1er février

 

Jean-Philippe Behr

Nos partenaires

Demande d’adhésion à la CCFI

Archives

Connexion

Vous n'êtes pas connecté.

Demande d’adhésion à la CCFI