Après la signature d’OpenAI avec le journal « Le Monde », c’est au tour de la licorne française Mistral de collaborer avec un média pour nourrir son assistant conversationnel, Le Chat. Celui-ci peut utiliser toutes les archives des dépêches d’actualité de l’Agence France-Presse, soit 38 millions, dès ce jeudi.
Comment faire pour mettre à jour les données d’une IA sur l’actualité ? L’entreprise française Mistral semble avoir trouvé la solution. Celle qui ambitionne à devenir le principal acteur européen de l’IA vient de signer avec l’Agence France-Presse (AFP) un accord permettant à son robot conversationnel d’utiliser les dépêches d’actualité de l’agence pour répondre aux requêtes des utilisateurs.
Ni le montant ni la durée de ce contrat « pluriannuel » n’ont été dévoilés. C’est le premier de ce type pour l’AFP, une des trois agences d’information mondiales, ainsi que pour Mistral AI, concurrent européen des géants américains comme OpenAI, le concepteur de l’outil ChatGPT. Parallèlement, le géant de la « tech » Google a annoncé mercredi qu’une autre agence mondiale, l’Américaine Associated Press (AP), allait fournir des contenus d’actualité à son intelligence artificielle générative, Gemini. La date du déploiement de cette nouvelle fonctionnalité n’a pas été révélée, ni le montant du contrat.
Accord à l’échelle mondiale
Dans le monde, ce genre de collaboration reste relativement rare, même si les choses se sont accélérées en 2024. La plupart concernent pour l’heure OpenAI. La société californienne a notamment signé avec le journal économique britannique « Financial Times », le quotidien français « Le Monde » ou encore le groupe allemand Springer (« Bild »). L’accord entre l’AFP et Mistral est le « premier » conclu « entre deux acteurs aux ambitions mondiales, voire à l’empreinte mondiale concernant l’AFP, mais aux racines européennes affirmées », a fait valoir le PDG de l’agence, Fabrice Fries. Cet accord fournira à l’AFP « un nouveau courant de revenus », a-t-il souligné. Pour Mistral, « l’AFP apporte une source vérifiée, journalistique, dont on pense qu’elle est très importante », a renchéri pour sa part Arthur Mensch, le patron de la start-up.
Dès jeudi, les dépêches de l’AFP en six langues (français, anglais, espagnol, arabe, allemand, portugais) peuvent être utilisées par le robot conversationnel de Mistral, Le Chat. Il fonctionne comme ChatGPT, qui a popularisé ces outils dans le grand public : l’utilisateur lui pose une question à laquelle il répond en quelques secondes.
Quand la question a trait à l’actualité, Le Chat va formuler ses réponses en se servant des dépêches de l’AFP, c’est-à-dire les informations envoyées sous forme de textes par l’agence à ses clients abonnés (médias, institutions, entreprises…). Une phase de test a lieu dans un premier temps, auprès d’une partie seulement des utilisateurs. « S’appuyer sur une agence de presse reconnue mondialement comme l’AFP permettra au Chat d’apporter des réponses fiables et factuelles, à jour, et vérifiées par des professionnels de l’information », s’est félicité Arthur Mensch.
2.300 dépêches par jour
Le Chat peut puiser dans toutes les archives texte de l’agence depuis 1983, mais pas dans ses photos, vidéos ou infographies. Au total, cela représente 38 millions de dépêches, produites au rythme de 2.300 par jour, selon Fabrice Fries. Il s’agit d’un nouveau type d’usage des dépêches de l’AFP qui vise, selon lui, « des professions libérales, des cadres de grandes entreprises », par exemple pour « préparer des mémos » ou tout document lié à l’actualité. Pour ce nouveau service portant sur l’actualité, Le Chat offrira au départ un accès grand public, mais après un nombre de requêtes-réponses il basculera en mode payant à destination surtout des entreprises.
Les outils d’IA générative donnent lieu à des usages très différents. A côté d’utilisations à des fins professionnels, le grand public s’en sert aussi pour des questions de vie quotidienne, auxquelles ces programmes répondent en piochant sur Internet. Deux usages « complémentaires », selon Arthur Mensch. Pour des questions « qui nécessitent de l’information vérifiée, c’est l’AFP qui fournira » le matériau de base des réponses et, quand les requêtes porteront « sur le shopping ou la météo par exemple, c’est plutôt le Web », a-t-il expliqué.
Interruption du fact-checking chez Meta
La signature intervient peu après l’annonce par le groupe Meta (Facebook, Instagram) de l’arrêt aux Etats-Unis de son programme de fact-checking. A l’échelle mondiale, l’AFP est en première ligne de ce programme. « Nos discussions avec Mistral ont démarré il y a une petite année, ce n’est donc pas corrélé à la décision de Meta », a affirmé Fabrice Fries, en revendiquant sa « stratégie de diversification » auprès des plateformes numériques.
En 2023, l’AFP a réalisé un bénéfice pour la cinquième année consécutive, avec un résultat net de 1,1 million d’euros, selon les chiffres publiés en avril 2024. Outre ses revenus commerciaux, l’AFP reçoit par l’Etat français une compensation des coûts liés à ses missions d’intérêt général (113,3 millions d’euros en 2023).
Autre point clé : contrairement à d’autres accords de ce type, les contenus AFP ne serviront pas à entraîner et faire progresser les modèles informatiques de Mistral . Ces contenus sont « un module qui vient se brancher à notre système et peut être débranché » à expiration du contrat, a déclaré Arthur Mensch. « Cela n’est pas un paiement pour solde de tout compte, comme c’est souvent le cas dans les accords d’entraînement de modèles, mais du développement de revenus récurrents », a fait valoir Fabrice Fries.