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La presse mauricienne fête ses 252 ans d’existence

Dans le cadre des 252 ans de la presse mauricienne, Goorooduth Chuttoo, collectionneur et fondateur du Musée de La Petite Collection, propose actuellement une exposition intitulée « Lagazette Lontan » au Plaisance Shopping Village, à Rose-Belle. L’exposition est ouverte au public jusqu’au 31 janvier. Sais-tu quel a été le premier journal publié à Maurice ? Comment la presse a-t-elle joué un rôle crucial dans le développement du pays ? Et qu’est-ce qui met aujourd’hui la presse en péril ? Faisons ensemble un tour d’horizon.

Un brin d’histoire

La première publication de presse à Maurice remonte au mercredi 13 janvier 1773. Nicolas Lambert lance alors Annonces, Affiches et Avis Divers, destiné aux colonies des îles de France et de Bourbon. Il s’agit non seulement de la première publication de presse de Maurice, mais également du premier journal publié sur tout le continent africain et dans l’hémisphère sud.

Cet hebdomadaire diffuse principalement des informations officielles, des annonces de particuliers et de commerçants. À l’époque coloniale, il contenait aussi des annonces relatives à la vente d’esclaves. Plus de 60 ans plus tard, Adrien d’Epinay crée le premier journal « indépendant » de l’île, Le Cernéen, qui défend les intérêts des colons. Par la suite, d’autres titres verront le jour, tels que Le Mauricien, fondé par Jules Eugène Leclézio, ou encore La Balance de Berquin.

À la fin du 19e siècle, des publications issues de communautés ethnolinguistiques émergent, comme le Chinese Daily ou The Hindusthani. Avec la formation des divers partis politiques, plusieurs journaux défendront les couleurs politiques, tels que Advance ou encore Action.

La période pré-Indépendance et post-Indépendance a eu une grande influence sur le journalisme local. C’est te dire que la presse mauricienne a rythmé la vie de notre population. Elle est le témoin de notre histoire. La presse mauricienne, au fil de son histoire, a connu diverses répressions de la part des puissants du pays. De 1773 à ce jour, des centaines de titres ont vu le jour, et nombreux sont ceux qui ont disparu. Et le journal l’express, que tu lis actuellement, fêtera cette année ses 62 ans d’existence.

L’importance de la presse mauricienne

« La presse mauricienne a joué un rôle fondamental dans l’histoire du pays », explique l’historien Jocelyn Chan Low. Avant d’ajouter : « Au tout début, nous n’avions pas de presse d’opinion, c’était une presse qui ne donnait que des informations liées à l’administration coloniale. C’est pendant le combat des colons contre l’abolition de l’esclavage que la presse mauricienne a pris toute son importance. On oublie souvent ce qui s’est passé à cette époque. Il y avait l’Antislavery Movement en Angleterre qui a amené à l’abolition de l’esclavage. L’Anti-slavery Movement se focalisait sur l’île Maurice. Il ne faut pas oublier qu’en ce temps-là, l’Angleterre était en guerre contre la France et qu’en se focalisant sur Maurice, les Anglais avaient trouvé un moyen de mettre à mal les Français, car alors que la traite des esclaves était abolie dans l’empire britannique, elle continuait à se faire illégalement à Maurice. Et les colons se servaient de la presse pour mettre en avant leurs opinions et contrecarrer l’abolition de l’esclavage. »

L’historien explique que la liberté de la presse vient aussi des Anglais. « Ils ont promulgué la liberté de la presse parce qu’ils voulaient mettre en avant la langue anglaise et ils trouvaient que le gouverneur avait trop de pouvoir, c’était en quelque sorte un contre-pouvoir. À l’époque, il n’y avait pas de parti politique et la presse était une voie vers la participation politique. » Durant la période pré-Indépendance, la presse a aussi joué un rôle important, certains mettant en avant des revendications pro-indépendantistes tandis que d’autres étaient anti-indépendance. C’est dire que la presse a joué un rôle important dans la démocratie du pays.

Ce que Goorooduth Chuttoo te permet de découvrir, ce sont des copies de plus d’une cinquantaine de titres de journaux d’antan, dont des titres tombés dans l’oubli tels que Le Cable, La Patrie, Le Petit Journal, Le Radical, Citoyen, La Populaire, L’Épée, ou encore Action, ainsi que ceux plus connus tels que The Congress, Advance, Le Cernéen, Le Mauricien et l’express. Le plus ancien des journaux de la collection exposée remonte à 1803 ; il s’agit d’un journal régional intitulé Le Curepipien. Il va aussi t’expliquer comment on utilisait les journaux pour faire des cornets dans les boutiques ou encore les employer comme papier mural dans les maisons. Cette exposition, il l’a réalisée pour rendre hommage à la presse mauricienne et à tous ceux qui œuvrent dans l’univers médiatique, y compris les marchands de journaux.

Une presse en péril ?

« La presse en général fait face à plusieurs problèmes aujourd’hui. Dans les grandes démocraties comme la France ou encore les États-Unis, on voit qu’il y a de plus en plus une perte de crédibilité de la presse parce que la presse est accaparée par des millionnaires, des gros intérêts. Il faut se demander qui contrôle quoi ? Aujourd’hui aussi, la presse fait de l’autocensure. Elle va plus vers la formation d’opinion que le fait d’informer. Il faut se demander si la presse est bien un 4e pouvoir ou si elle est devenue un outil du pouvoir exécutif ? N’y a-t-il pas un lien incestueux entre politique et presse ? Une démonstration de cela est la presse américaine. D’autre part, nous voyons aussi qu’il y a de plus en plus de gens qui écrivent eux-mêmes, notamment sur les réseaux sociaux. Il y a aujourd’hui d’autres sources d’informations. Et enfin, nous avons l’Intelligence Artificielle qui menace la presse. Un chatbot peut devenir un journaliste. À Maurice, nous avons une presse qui est encore critique, mais est-ce que ce sera le cas par la suite ? On ne sait pas. À mon avis, il y a beaucoup de choses à revoir, notamment le business model des titres de presse, et je crois que la formation des personnes travaillant dans la presse est importante. »

Pour Goorooduth Chuttoo, la presse ne peut pas mourir. « On disait la même chose du gamat, mais aujourd’hui c’est quelque chose que l’on recherche dans les mariages hindous. Le journal ne disparaîtra jamais. Le journal éduque et dévoile ce qu’on tente de cacher. Si les gens connaissaient l’histoire et la valeur d’un journal, jamais ils ne laisseraient le journal mourir. »

Lire : L’express.mu du 17 janvier

Jean-Philippe Behr

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