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Le chiffonnage de la presse papier est-il inéluctable ?

Neuf quotidiens de Postmedia ne seront plus publiés le lundi en format papier.

Neuf quotidiens de Postmedia, dont Montreal Gazette et l’Ottawa Citizen, ne seront plus publiés le lundi en format papier à compter du 17 octobre.

Seules les versions électroniques paraîtront le lundi sur les plateformes de ces quotidiens.

Est-ce une étape supplémentaire et inéluctable d’un grand chiffonnage de la presse papier, qu’on voit rétrécir depuis une dizaine d’années ?

« Il y a encore des gens qui aiment le papier. Il y en a de moins en moins, mais il en reste encore ! », répond Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’UQAM.

« Les entreprises de presse sont un peu coincées entre donner à leurs lecteurs et lectrices le support dont ils ont besoin et ce que ça coûte d’imprimer et de distribuer du papier. »

Des coûts qui augmentent rapidement.

Entre le troisième trimestre 2021 et le troisième trimestre 2022, les coûts de distribution de Postmedia Network ont connu une hausse de près de 31,5 %.

La distribution, c’est essentiellement la distribution des exemplaires papier de leurs journaux. C’est peut-être ce qui explique la décision d’aujourd’hui.

Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’UQAM

L’impression et la distribution de journaux sont elles aussi frappées par l’inflation et la pénurie de main-d’œuvre… même aux échelons les plus modestes.

« Je pense qu’il y a aussi des pénuries de camelots, dit-il. Ça ajoute au problème. »

Mais la presse imprimée rapporte encore des revenus publicitaires, ce qui explique sa persistance.

Entre le troisième trimestre 2021 et le troisième trimestre 2022, les revenus de publicité imprimée de Postmedia ont augmenté. Légèrement, il est vrai : de 1,3 %.

Bien moins que l’augmentation des coûts de distribution.

Le papier va exister tant que ça va rapporter de l’argent, tant que les médias vont être capables de vendre de la publicité imprimée.

Jean-Hugues Roy

Une publicité imprimée est une publicité que Facebook ne peut pas voler, cite-t-il.

On peut cependant prévoir que les coûts d’impression et de distribution de ce papier surpasseront un jour les revenus qu’il procure. « Et c’est à ce moment-là qu’on va atteindre le point de rupture. Postmedia est peut-être rendu là. »

Ce qui soulève la question : pourquoi l’entreprise a-t-elle cessé d’imprimer le lundi et seulement le lundi ?

« À ma connaissance, je n’ai pas vu ça ailleurs. En général, quand les médias font ça, ils cessent d’imprimer et de distribuer une version papier tous les jours de la semaine, pour ne conserver que la fin de semaine. Postmedia a peut-être des chiffres qu’on n’a pas, mais je ne sais pas ce que ça va changer à leurs coûts de distribution. »

On peut subodorer que les revenus publicitaires du lundi étaient inférieurs aux coûts d’impression et de distribution. Postmedia n’a pas rappelé La Presse à ce propos.

Encore des lecteurs

L’intérêt pour l’information écrite ne faiblit pas, si l’on en croit une enquête menée par News Media Canada, l’organisme qui regroupe toute l’industrie. En 2012, 85 % de la population adulte consultait des médias écrits chaque semaine. En 2022, la proportion est sensiblement restée la même, avec 86 %. Mais on s’en doute, le lectorat a depuis lors basculé vers les versions électroniques, notamment les applications pour téléphones intelligents. En 2022, 69 % des lecteurs s’informaient sur leur portable, contre 38 % 10 ans plus tôt.

Sans surprise, encore, il y a là un effet de génération. Ce sont les lecteurs les plus âgés qui demeurent fidèles à l’imprimé.

La fin n’est pas en vue

Il y a les journaux qui disparaissent. Il y a ceux qui migrent vers le numérique. Et il y a ceux qui s’agrippent au papier.

Jean-Hugues Roy souligne que les revenus de publicité imprimée du New York Times ont augmenté entre 2020 et 2021… moins toutefois que ses revenus numériques. En 2021, 38 % de ses revenus publicitaires provenaient encore de l’imprimé.

« Le mur n’est pas encore là, prononce-t-il. En tout cas pour ce qui est du New York Times, le papier a encore quelques belles années devant lui. »

Combien d’années ?

On a souvent annoncé la disparition prochaine de vénérables médias, la radio plus d’une fois. « La radio vit de grandes heures. Avec les podcasts, l’information audio est plus forte que jamais », souligne le professeur de journalisme.

« Il est très difficile de prédire l’avenir, mais je ne serai pas la personne qui va annoncer la mort du papier. »

 

Lire : La Presse du 23 septembre

 

Jean-Philippe Behr

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