A l’occasion du Festival du Livre de Paris l’an dernier, Emmanuel Macron s’était prononcé en faveur d’une contribution sur les livres de seconde main. Depuis, de nombreux acteurs du secteur attendent toujours des mesures concrètes.
C’est le propre des symphonies dissonantes, la mélodie jouée par l’orchestre est rarement au goût du public concerné. Il y a un peu moins d’un an, lors de son passage dans les allées du Festival du Livre de Paris, Emmanuel Macron, se prononçait ouvertement en faveur d’une taxe sur le livre d’occasion devenu ces dernières années le cauchemar des éditeurs.
Une déclaration qui avait fait l’effet d’une bombe dans le secteur, d’autant que le président de la République contredisait littéralement la ministre de la Culture, Rachida Dati, qui avait déclaré, la veille même, être contre un dispositif de cet acabit dans une interview aux « Echos ». Mais un an plus tard, rien n’a bougé sur le front du livre de seconde main.
Un immobilisme politique qui impatiente
Alors que s’ouvre ce vendredi la nouvelle édition du Festival du Livre de Paris, faisant son retour au Grand Palais, Rachida Dati, Emmanuel Macron – qui devrait de nouveau faire une visite cette année -, ou encore François Bayrou vont-ils se saisir de l’occasion pour enfin clarifier la situation et étayer leurs intentions ? C’est ce qu’espèrent de nombreux acteurs du secteur que cet immobilisme politique impatiente. A commencer par les éditeurs.
« Nous attendons de l’audace et des mesures fortes de la part de l’exécutif. Nous soutenons la piste d’un élargissement du droit d’auteur qui ouvrirait la voie à la rémunération des auteurs et éditeurs lors des achats de livre de seconde main », expose Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition (SNE) qui organise le Festival du Livre de Paris.
« Une contribution de 0,30 centime par livre serait indolore pour les lecteurs. Bien sûr, nous ne souhaitons pas que les particuliers, les réseaux de bouquinistes ou que les entreprises sociales et solidaires (ESS) soient assujetties à cela. L’idée est que cela s’applique aux entreprises qui ont une activité industrielle de ventes de livres d’occasion », précise-t-il.
Vinted, Leboncoin, Rakuten, Amazon, Momox : ce quintet constitue le peloton des plus gros revendeurs en ligne de livres d’occasion en France, d’après une étude publiée en 2023 – par la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia) et le ministère de la Culture – qui avait alors fait grand bruit.
Selon celle-ci, un livre de seconde main sur deux était vendu en ligne en 2022. Plus globalement, le marché de la seconde main pesait alors 350 millions d’euros – soit près de 10 % du marché du neuf -, et un livre vendu sur cinq l’a été sur le marché de l’occasion lors de cet exercice.
Du côté des auteurs, certains syndicats partagent les inquiétudes et la ligne du SNE. « Il y a urgence à agir car il faut garantir une juste rémunération aux auteurs sur la revente de leurs oeuvres. Plusieurs propositions ont été adressées au législateur et au gouvernement », fait valoir Patrice Locmant, directeur général de la Société des gens de lettres (SGDL), qui souhaite aussi qu’une contribution des grands acteurs du marché du livre d’occasion alimente le financement de la création. « En parallèle, on pourrait aussi imaginer une forme de chronologie des médias permettant au livre neuf de se vendre pendant une période donnée sans souffrir de la concurrence déloyale de l’occasion. »
« Pas une priorité »
Mais dans l’industrie, toutes ces prises de position ne font pas consensus. « Beaucoup d’acteurs sont focalisés sur ce sujet en considérant que les ventes de livres d’occasion sont à l’origine des difficultés actuelles du secteur. Mais, selon GFK, le marché de l’occasion a davantage reculé que le livre neuf en 2024, en perdant 4 % en valeur et 6 % de lecteurs. C’est contradictoire avec l’idée que l’occasion cannibaliserait le neuf », argue Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF).
« La vraie menace pour le secteur, c’est la baisse de la lecture, y compris chez les grands lecteurs qui sont aussi de gros acheteurs de livres neufs. Il faut choyer ces lecteurs et non pas les stigmatiser en leur faisant supporter une contribution financière qui sera de surcroît difficile à mettre en oeuvre et qui ne rapportera sans doute pas grand-chose, en tous les cas pas à hauteur des besoins de rémunération des auteurs par exemple », précise-t-il. Quoi qu’il en soit, une telle contribution ne doit pas toucher les libraires parce qu’ils jouent un rôle marginal sur l’occasion et n’ont pas besoin de cela actuellement au regard de leurs difficultés économiques. »
« Ce sujet n’est pas une priorité dans l’industrie et les dispositifs évoqués risquent de décourager la lecture, abonde Stéphanie Le Cam, directrice de la Ligue des auteurs professionnels. Si les éditeurs souhaitent vraiment que les auteurs soient mieux rémunérés, qu’ils commencent par mieux répartir la valeur sur les ouvrages neufs. »