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Le monde du livre vent debout contre la publicité à la télévision

Le Syndicat national de l’édition réunissant les grands éditeurs français (Hachette, Editis, Gallimard…) réclame l’abrogation du décret autorisant la publicité pour les livres sur une phase test de 21 mois. « Cette expérimentation a du sens », fait valoir le cabinet du ministère de la Culture.

C’est l’histoire d’un décret auquel personne ne s’attendait… ni ne réclamait dans le monde du livre. « C’est allé vite en besogne. Nous avons été consultés en amont et nous savions que le projet était sur la table, mais nous n’avions aucune idée du calendrier, note Renaud Lefebvre, directeur général du Syndicat national de l’édition, réunissant les grands éditeurs (Hachette, Editis, Gallimard, Média-Participations…) qui a demandé, ce mercredi, rien de moins que ‘l’abrogation’ du décret. C’est une mesure que nous n’avions pas réclamée. » Le Conseil permanent des écrivains, la Ligue des auteurs professionnels et la Fédération des éditions indépendantes ont aussi fait part de leur désapprobation.

Il y a un peu moins de deux semaines, un décret signé par la ministre de la Culture, Rachida Dati, a autorisé la publicité télévisuelle faisant la promotion des livres sur l’ensemble des chaînes publiques gratuites de la TNT sur une phase test de 21 mois. Depuis, de nombreuses maisons ont fait publiquement entendre leur voix et se sont prononcées contre, d’Antoine Gallimard à Denis Olivennes (Editis). De nombreux éditeurs indépendants sont également sur la même ligne. Chez tous ces acteurs, les craintes sont partagées.

« Le risque est d’accélérer le phénomène de ‘best-sellerisation’ déjà à l‘oeuvre en dopant les ventes des auteurs connus et en asséchant les moyens alloués à la promotion des auteurs moins connus, expose Guillaume Allary, à la tête des éditions Allary. Et, plus les revenus se concentrent sur quelques auteurs, plus cela renforce le pouvoir de marché de ces derniers et accentue le risque de désintermédiation des libraires et des éditeurs à terme. » Un phénomène à même de fragiliser la péréquation de l’industrie – où environ 80 % des livres sont financés par les 20 % d’ouvrages rentables -, et la diversité éditoriale en filigrane.

De nombreuses craintes

« Philosophiquement, je suis pour car les biens dont on interdit la publicité sont ceux qui ont un impact social négatif. Tout le contraire du livre, pointe Guillaume Allary. Mais il faudrait que le gouvernement donne au secteur la possibilité de mettre un terme à cette expérimentation si elle polarise encore plus les ventes sans doper le marché. »

« A ce stade, il s’agit d’une expérimentation. Comme sur le cinéma, il y avait la crainte que cela ne bénéficie qu’à certains films. La réalité de l’expérimentation a montré que cela respectait la diversité des films et favorisait l’élargissement des publics » a réagi, mercredi, le cabinet de la ministre de la Culture auprès des « Echos ».

« Le coût d’accès à la publicité télé est trop élevé pour de nombreux acteurs et cela menace la richesse éditoriale de la production et donc le modèle même de l’industrie du livre, fait valoir Renaud Lefebvre. Comment voulez-vous qu’une maison d’édition de livre jeunesse qui tire 6.000 exemplaires d’un ouvrage vendu six euros puisse prendre une publicité télé ? Le gouvernement s’appuie sur son expérimentation faite avec la publicité au cinéma pour justifier ce test. Mais les échelles des deux industries sont très éloignées. »

« Cette expérimentation a du sens »

Quelques jours après la publication du décret, Rachida Dati avait argué dans « Les Echos » que la publicité à la télévision pour les livres était à même d’enclencher un cercle vertueux pour l’industrie « Le succès d’un livre n’est pas une mauvaise chose dès lors qu’il permet à un éditeur d’investir sur d’autres auteurs, en particulier nouveaux, avait déclaré la ministre de la Culture. L’objectif est aussi d’inciter les Français à franchir le seuil d’une librairie et de nourrir ainsi le goût de la lecture. Vous pouvez entrer dans une librairie pour acheter un best-seller et repartir avec trois autres livres sous le bras. »

Mais, à l’unisson, plusieurs acteurs du secteur estiment que ce scénario vertueux ne s’écrira pas, dans la grande majorité des cas. « Ce n’est pas ce qu’on a observé jusqu’ici. Les acheteurs de best-seller vont davantage consommer du côté de la grande distribution ou des plateformes en ligne et ne sont pas forcément des gros lecteurs, ceux qui achètent plus de 15 livres par an, et qui font vivre la librairie, fait valoir l’un d’entre eux. Cela peut fragiliser le maillon sur lequel repose tout l’édifice, et qui est fragile : la librairie. Elle ne peut tenir qu’avec une offre diversifiée et des ventes moyennes sur de nombreux titres. »

« L’expérimentation de la publicité du livre à la télévision permettra de faire venir de nouveaux publics dans les librairies, assure le cabinet de la ministre de la Culture auprès des ‘Echos’. Ceux qui redoutent de favoriser les best-sellers à la TV devraient justement faire la publicité de nouveaux auteurs pour attirer d’avantage. En matière de lecture, au moment où nos jeunes se détournent des livres, cette expérimentation a du sens. »

« Ce décret, c’est une victoire de la télévision »

Du côté des librairies, la ligne demeure la même que ces dernières années. « Toute mesure pouvant polariser plus encore le marché nous menace. Or, avec un géant comme Vivendi qui possède Hachette, des chaînes de télévision et aussi une agence de publicité, cette ouverture à la publicité est encore moins une bonne idée qu’il y a dix ou vingt ans, tacle Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF), dont les adhérents pèsent plus des trois quarts du chiffre d’affaires national des librairies indépendantes. Ce décret, c’est une victoire de la télévision au détriment du monde du livre, des radios et de la presse écrite, et tout particulièrement les suppléments littéraires. »

« La télévision sera un outil puissant pour reconnecter les jeunes avec la lecture. Cela justifiant pleinement l’introduction de la publicité pour les livres à la télévision, non seulement comme un moyen de promotion commerciale, mais aussi comme un vecteur essentiel de l’éducation culturelle et de la sensibilisation à la lecture », a réagi le SNPTV représentant les chaînes de télévision.

« Une dépense de prestige »

Cette levée de boucliers du monde du livre n’a en tout pas empêché l’éditeur XO (Editis) de se lancer. Celui-ci a déjà diffusé un spot publicitaire promouvant le nouveau thriller de Bernard Minier « Les effacées » vendredi dernier sur BFM TV. Reste maintenant à voir si d’autres suivront. « Economiquement, ce n’est pas tenable quand on voit que tous les éditeurs, du plus petit à Hachette, font attention au moindre frais, de la couverture au bandeau, pour préserver leur marge, note Elsa Lafon, directrice générale du groupe Michel Lafon. Après, cela peut s’apparenter à une dépense de prestige qui peut vous permettre d’attirer certains auteurs sensibles à la question de la notoriété. »

En 2003, c’est justement Michel Lafon qui avait dégainé le premier après un changement législatif concernant les chaînes du câble ; le groupe avait alors fait la promotion de « Confidences royales », le livre de Paul Burrell, l’ex-majordome de Lady Diana. « On avait pris quelques spots et il y avait eu un gros effet d’annonce parce que les JT nationaux avaient repris l’information, se souvient Elsa Lafon. Cela avait très bien fonctionné et nous avions vendu plus de 200.000 exemplaires du livre. Mais nous n’avons jamais refait de publicité télé depuis. »

Lire : Les Echos du 17 avril

 

Jean-Philippe Behr

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