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L’envolée de la censure des livres aux États-Unis

A l’automne 2021, l’Association américaine des bibliothèques a indiqué avoir reçu le nombre “inédit” de 330 signalements. « Une hausse sans précédent », selon la responsable de l’association…

Depuis plusieurs années déjà, quelques responsables politiques, une poignée d’éditorialistes, quelques intellectuels inquiets nous alertent sur les dangers d’une vague déferlante venue d’Amérique. La cancel culture. Soit un pseudo cancer de la culture, par le truchement duquel des statues sont déboulonnées, des pièces de théâtre empêchées, certains classiques de la littérature passés au grill de la morale « gauchiste », « identitaire », « antiraciste ».

Et Maintenant ? Eh bien, dans ce constat, une chose au moins se vérifie : les États-Unis sont rongés par la cancel culture. Dans de nombreux comtés : enseignants, parents et militants exigent de concert la mise à l’index d’un nombre croissant de livres. Ainsi, à l’automne 2021, l’Association américaine des bibliothèques a indiqué avoir reçu le nombre “inédit” de 330 signalements. « Une hausse sans précédent », selon la responsable de l’association…

Toutefois, contrairement à ce qu’on entend souvent, la gauche et les campus ne sont pas les premiers initiateurs de ce mouvement. Et la cancel culture est, très largement, l’œuvre et l’instrument du camp conservateur, qui s’attaque aux livres traitant de thèmes allant du racisme à l’identité de genre. Un exemple : à l’automne dernier, la commission scolaire d’un comté du Kansas a annoncé le retrait de la circulation de 29 livres dans les bibliothèques scolaires. Parmi eux : L’Œil le plus bleu de Toni Morrison, qui raconte l’histoire d’une jeune afro-américaine durant la Grande Dépression, raillée pour sa peau sombre. La Servante écarlate, dystopie de Margaret Atwood et symbole des luttes féministes. Et beaucoup d’œuvres dites progressistes ou qui portent un message, une sensibilité, d’une telle nature. Esther CYNA, docteure en civilisation américaine, spécialiste d’histoire de l’éducation et enseignante chercheuse à l’université Sorbonne Nouvelle, détaille cette tendance effarante.

Au Texas, 850 livres sont dans le collimateur des législateurs républicains. Dans le Wyoming, un procureur a envisagé de poursuivre des bibliothécaires qui avaient sur leurs rayonnages des livres comme Sex Is a Funny Word [“Le sexe est un drôle de mot”] et This Book Is Gay [“Ce livre est gay”]. En Oklahoma, un projet de loi a été imaginé par le camp conservateur pour interdire aux écoles publiques de donner accès aux livres sur l’activité sexuelle, l’identité sexuelle ou l’identité de genre. Toutefois, cette hausse de la censure s’inscrit dans une tradition bien ancrée et une dynamique historique singulière.

Comment expliquer, ce que certains qualifient de guerre des programmes ? Il faut comprendre qu’aux États-Unis, la tradition en matière d’éducation est le localisme. Les districts scolaires sont gouvernés par des conseils d’éducation, où siègent souvent parents et résidents ; un cadre propice aux polémiques. Ainsi, selon l’Association américaine des bibliothèques, les livres sont souvent retirés des étagères, dans un cas sur deux, à la demande des parents d’élèves. Créant souvent des polémiques dont se sert le Parti républicain pour mobiliser sa base. Ce qui frappe, au fond, c’est la tension forte qui traverse les États-Unis : tension entre censure morale et politique d’un côté, et liberté d’expression de l’autre.

Face aux lobbys conservateurs et à la liste à rallonge des œuvres mises à l’index la riposte s’organise. La plateforme de livres électroniques Scribd, par exemple, a rendu accessibles gratuitement durant 30 jours tous les ouvrages bannis récemment à travers le pays. Dans le même temps (c’est toujours le même mécanisme), les ventes de Maus, le roman graphique sur l’Holocauste du dessinateur Art SPIEGELMAN, censuré en janvier dans le Tennessee pour son contenu « vulgaire et inapproprié » ont explosé. Alors au fond, vive la censure ! Aujourd’hui plus que jamais, elle est une pub à l’état pur.

 

Lire et écouter : France Culture du 30 mars

 

Jean-Philippe Behr

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