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L’Europe prête à reporter encore sa loi controversée contre la déforestation

Le Parlement européen a voté, mercredi, l’énième report de la réglementation phare contre la déforestation. Un an de plus, au moins. De quoi faire enrager les entreprises qui ont joué le jeu… et ravir celles qui n’y croyaient pas.

C’est presque devenu une habitude à Bruxelles : dès qu’un texte environnemental ambitieux approche de son heure de vérité, on trouve mille raisons de lui accorder un sursis. Mercredi, le Parlement européen a ainsi validé par 402 voix contre 250 le report d’un an – minimum – de l’entrée en vigueur du règlement européen très controversé sur la déforestation.

Une loi emblématique qui devait interdire la commercialisation en Europe de produits issus de terres déboisées après 2020 : cacao, café, huile de palme, soja, bois… mais qui a été critiquée tant en Europe qu’à l’international, en raison de sa charge excessive et du manque de préparation des entreprises.

Après un premier report de 2024 à 2025, puis des mois d’atermoiements, l’Union européenne (UE) vient donc d’offrir un nouveau cadeau aux procrastineurs. Les grandes entreprises auront jusqu’au 30 décembre 2026 pour se conformer ; les petites et microentreprises, jusqu’au 30 juin 2027.

Et, cerise sur le gâteau, une clause de « revoyure » est programmée pour avril 2026, soit avant même l’entrée en vigueur du texte. Autrement dit, l’UE va pouvoir réviser une loi qu’elle n’a jamais testée, du jamais vu…

L’alliance qui fâche

Le vote de mercredi a aussi révélé une autre réalité peu réjouissante pour les défenseurs du climat : l’alliance entre la droite du Parti populaire européen (PPE) et l’extrême droite, qui a fait pencher la balance.

« C’est une grande victoire », jubile le groupe des Patriotes dirigé par Jordan Bardella. « Une autre majorité est possible », martèle-t-on du côté de l’extrême droite, galvanisée par ce deuxième coup d’éclat en quinze jours – après avoir déjà sabré, le 13 novembre, une loi sur le devoir de vigilance des entreprises.

Les centristes de Renew se sont divisés sur ce texte – 40 % ont voté pour, 60 % contre – et la gauche s’y est opposée. Ironie de l’histoire : les sociétés qui ont investi dans la traçabilité se retrouvent les dindons de la farce. En France notamment, France Industrie poussait pour un démarrage dès janvier, les investissements ayant déjà été faits.

Berlin mène la danse

Le texte adopté reprend presque mot pour mot la position des Vingt-Sept validée le 19 novembre, elle-même largement inspirée par… l’Allemagne. Inquiète des surcoûts pour ses forestiers et appuyée par l’Autriche, Berlin a fait pression pour aller au-delà d’une proposition initiale de la Commission européenne, qui ne prévoyait qu’un délai de six mois (après avoir envisagé au départ un an).

L’exécutif bruxellois avait alors invoqué des problèmes informatiques pour mettre en place le système de traçabilité des produits. Mais beaucoup pointaient les critiques acerbes des Etats-Unis et d’autres partenaires commerciaux de l’UE comme le Brésil et l’Indonésie qui auraient pu influencer cette décision. Les Vingt-Sept ont donc finalement soutenu un report d’un an.

La cerise empoisonnée du texte adopté mercredi, c’est cette fameuse clause de révision programmée pour avril 2026, soit avant l’entrée en vigueur du texte. « Cela donne une imprévisibilité absolue pour les entreprises car peut-être que toutes les règles seront rouvertes à nouveau pour tout le monde en avril », s’insurge l’eurodéputé Renew Pascal Canfin, pour qui « la révision sera basée sur l’idéologie, pas sur des faits, parce qu’il n’y aura pas d’expérimentation concrète ».

Du côté des ONG, la coupe est pleine. « Les tentatives incessantes visant à réviser cette loi sont une farce », a dénoncé l’ONG Fern. Même la vice-présidente de la Commission européenne, Teresa Ribera, a exprimé sa « profonde déception », la semaine dernière, après le report décidé par les Vingt-Sept la qualifiant de « mauvaise décision ».

Et maintenant ?

Conseil et Parlement doivent encore négocier la version finale, mais leurs positions étant quasi identiques, l’adoption définitive devrait intervenir avant la fin de l’année. Reste à savoir si cette loi verra un jour le jour, ou si de nouvelles « simplifications » viendront l’édulcorer d’ici à avril 2026.

Les marchés, eux, ont déjà compris : le cacao a chuté de 6,6 % à New York, mercredi. L’Europe ne changera rien de sitôt à ses habitudes de consommation. Même au prix de 420 millions d’hectares de forêts perdus entre 1990 et 2020 – une superficie plus grande que l’UE elle-même, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Le Pacte vert attendra. Encore un peu.

Lire : Les Echos du 26 novembre

Jean-Philippe Behr

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