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L’industrie de l’édition face à l’hydre du piratage

Récemment, le FBI a arrêté deux têtes pensantes du site Z-Library qui revendique un catalogue de près de 11 millions d’ouvrages. Partout dans le monde, les maisons d’éditions luttent contre le phénomène du piratage.

L’histoire est digne d’un roman. Début novembre, le FBI a procédé à l’arrestation en Argentine de deux Russes accusés d’être parmi les têtes pensantes de Z-Library, une plateforme de piratage de livres d’ampleur mondiale lancée en 2009. Dans le même temps, le site était bloqué aux Etats-Unis. S’autoproclamant rien de moins que « la plus grande bibliothèque du monde », Z-Library revendique un catalogue de près de 11 millions de titres disponibles – dont des romans au format ePub, le standard de référence des ebooks, mais aussi des BD ou des mangas. Les deux interpellés vont être jugés aux Etats-Unis pour violation du droit d’auteur, fraude, et blanchiment d’argent.

Ces derniers mois, Z-Library n’a cessé de gagner en notoriété, notamment via TikTok où les utilisateurs se partagent les liens de redirection. Sur l’application très populaire auprès des adolescents du monde entier, le hashtag #zlibrarybooks totalise 14,6 millions de vues. Ce qui a incité les acteurs du secteur à agir aux quatre coins du globe. En France, le syndicat national de l’édition (SNE) avait lancé, fin juin, une action en justice contre Z-Library, y associant douze maisons d’édition, dont Editis, Hachette, Humensis ou Cairn.

Deux mois plus tard, le tribunal judiciaire de Paris ordonnait le blocage de Z-Library par les fournisseurs d’accès à Internet sur le sol français. « Le plus compliqué a été de cartographier l’écosystème de Z-Library, tous les liens de redirection et les sites miroirs. Au total, nous avions identifié 209 noms de domaines qui ont tous été bloqués, détaille Julien Chouraqui, directeur juridique du SNE. Aujourd’hui, Z-Library n’est pas totalement inactif car les serveurs du site, se trouvant à l’étranger, n’ont pas été débranchés. Mais il est beaucoup plus difficile d’y accéder pour une personne lambda et c’est ce qui importait ».

« Le piratage est entré dans une nouvelle ère »

Le phénomène du piratage est loin d’être neuf dans le secteur de l’édition. En avril 2021, la justice française avait ainsi condamné plusieurs membres de la Team Alexandriz, pour le piratage de 23.942 livres (des faits commis entre 2010 et 2013) à des amendes pécuniaires et des peines de prison avec sursis – une action judiciaire diligentée aussi par le SNE. Mais l’ampleur du phénomène a radicalement évolué.

« En dix ans, le piratage est entré dans une nouvelle ère. On est passé d’une pratique locale, quasi-artisanale comme celle de la Team Alexandriz à une organisation internationale et à la logique industrielle avec Z-Library, retrace Julien Chouraqui. Le nombre de sites de piratage spécialisés dans le livre et de plateformes généralistes de piratage proposant des livres a fortement augmenté en volume ». Un Z-Library se rémunérait avec de la publicité.

Résultat, les grandes maisons d’édition se sont emparées du sujet. « C’est l’une des plus hautes priorités au sein du groupe, fait valoir Juliane Charbois, directrice juridique et compliance d’Editis, numéro deux français du secteur. Nous faisons appel à un prestataire externe qui scanne le web et envoie des notifications directement aux sites pirates et nous avons aussi des équipes dédiées qui font ce travail. Depuis début 2021, nous avons fait désindexer 7 millions de liens de redirection et fait supprimer plus de 100.000 fichiers ».

Les mangas, un format particulièrement touché

Comme de juste, les auteurs de best-sellers sont les plus ciblés. « Le dernier roman (« Anéantir ») de Michel Houellebecq a été téléchargé plus de 28.000 fois et celui de Virginie Despentes (« Cher Connard ») près de 20.000 fois », rapporte Hervé Bienvault, spécialiste du livre numérique, ne citant là les chiffres que d’une seule plateforme francophone. « Cela va très vite. Un ouvrage de Guillaume Musso qui sort à 8h du matin, vous le trouvez trois heures plus tard sur un site pirate ».

De plus en plus populaires, les mangas sont le format le plus touché par le piratage. En fin d’année dernière, les trois principales plateformes de piratage de ce type d’oeuvre totalisaient plus de 300 millions de visiteurs uniques, selon l’AJB, une organisation japonaise professionnelle du secteur. Shueisha, Kadowaka, Kodansha, Shogakukan : les grandes maisons d’édition nippones mènent un combat acharné contre le piratage. Ce qui a notamment conduit à l’arrestation, cet été, du propriétaire du site chinois MangaBank.

« L’édition est très immunisée contre le piratage en France »

Reste qu’en France, l’impact économique du piratage à l’échelle de l’industrie – qui a connu une année 2021 record -, demeure limité et loin du violent séisme vécu par le monde de la musique au début des années 2000. « L’édition est très immunisée contre le piratage en France parce que les lecteurs continuent à avoir une forte appétence pour le livre imprimé, y compris les plus jeunes, expose Hervé Bienvault. « On voit que le format de l’ebook n’a jamais vraiment décollé. Ce qui explique pourquoi le secteur n’a jamais eu besoin de créer une offre numérique légale à la Spotify pour faire face au piratage ».

Circonscrite, la menace n’en demeure pas moins vivace et la lutte sans relâche. « Dès qu’on coupe une tête, une autre repousse. Notre but, si nous ne pouvons pas annihiler le piratage, est de l’endiguer et d’empêcher que certaines plateformes ne gagnent trop en notoriété, souligne Julien Chouraqui. Juste après la décision de justice pour Z-Library, de nouvelles répliques du site sont apparues et on envisage de lancer des blocages complémentaires en référé. Nous avons aussi actuellement d’autres plateformes dans le viseur ».

 

Lire : Les Echos du 25 novembre

 

Jean-Philippe Behr

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