PEN America vient de publier sa liste annuelle des livres censurés dans les écoles publiques américaines. Rien que pour l’année scolaire 2024-2025, ont été recensés 6.870 retraits portant sur près de 4.000 titres. Personne n’est épargné, des auteurs culte aux stars de la littérature jeunesse et young adult d’hier et d’aujourd’hui.
Dans La librairie des livres interdits, paru en novembre 2024, Marc Lévy mettait en scène un libraire américain, Mitch, sortant de prison après avoir purgé une peine de cinq ans pour avoir osé vendre des ouvrages bannis par le pouvoir. Dans une postface éclairante, l’écrivain français soulignait que son intrigue empruntait largement à la réalité. « La loi HB 1467 n’est pas une invention. Signée par le gouverneur de l’Etat de Floride le 25 mars 2022, elle permet désormais à tout résident de l’Etat de faire retirer des livres des programmes d’enseignement, des bibliothèques scolaires et publiques accessibles aux mineurs ».
D’autres Etats conservateurs se sont engouffrés dans cette brèche au Texas, en Floride, dans le Missouri, l’Utah, la Caroline du Sud, etc. Sont particulièrement ciblés les textes écrits par des auteurs ou auteures de couleur, appartenant à la communauté LGBTQ +, les ouvrages traitant de racisme ou de la question identitaire. De plus en plus d’ouvrages sont interdits parce que considérés comme « pornographiques » ou « indécents » dès lors qu’ils mentionnent le corps ou la nudité.
La dernière liste des livres bannis publiée cette semaine par PEN America vient malheureusement rappeler que le roman de Marc Lévy ne relève pas de la fiction. Selon cette organisation à but non lucratif dont l’objectif est de sensibiliser à la protection de la liberté d’expression, 23.000 livres ont été retirés des écoles publiques dans le pays depuis 2021. Rien que pour l’année scolaire 2024-2025, PEN America a recensé 6.870 retraits portant sur près de 4.000 titres. La Floride est l’Etat le plus concerné (2.304 retraits), suivie par le Texas (1.781) et le Tennessee (1.622).
Le triste record d’«Orange mécanique»
Le classique d’Anthony Burgess, «Orange Mécanique» (paru en 1972 en VF) détient le triste record du livre le plus souvent interdit, en raison du contenu violent et de la crudité du langage de cette effrayante dystopie. Également concerné : «Dix-neuf minutes» de Jodi Picoult, qui raconte avec réalisme une fusillade dans le lycée de Sterling (New Hampshire) par un adolescent de 17 ans, Peter Houghton, victime de harcèlement. Le roman de l’écrivaine de Long Island a figuré sur la liste des best sellers du New York Times.
La célèbre auteure de littérature pour la jeunesse Judy Blume, aujourd’hui octogénaire, est aussi une cible récurrente des censeurs. Elle fut l’une des premières plumes, dans les années 1970, à parler aux adolescents de sujets sensibles, tels que le racisme («Iggie’s House»), les règles («Dieu, tu es là ? C’est moi, Margaret»), le divorce (»Ce n’est pas la fin du monde»), la masturbation (»Tiens-toi droite !, Et puis j’en sais rien !») ou la sexualité chez les jeunes («Pour Toujours»). Elle est de ce fait très critiquée par les milieux conservateurs et notamment la droite religieuse.
Feu sur Toni Morrison et Margaret Atwood
Parmi les autres livres bannis dans 50 districts scolaires au moins, se mêlent ouvrages cultes (»L’oeil le plus bleu» de Toni Morrison, qui traite de racisme et d’inceste ; «la Servante Ecarlate»,la dystopie de Margaret Atwood adaptée en série à succès) et romans plus récents, qu’ils soient destinés aux adultes et ou à la jeunesse.
Même un titre de romance aussi populaire que «Sans regret», le tout premier texte de Colleen Hoover, la superstar de la littérature young adult, (autopublié en 2012 avant de se hisser dans les meilleures ventes du New York Times début 2013) n’est pas intouchable.
Quelques éditeurs (Penguin Random House, Hachette Book Group, HarperCollins Publishers, Simon & Schuster) et auteurs (Jodi Picoult, Julia Alvarez, John Green) ont osé réagir au retrait de leurs ouvrages, avec un premier succès. En août 2025, un juge fédéral a invalidé des parties essentielles de la loi de Floride au centre de la polémique.
A Orlando, le juge de district Carlos Mendoza, nommé par Barack Obama, a estimé que l’interdiction des textes décrivant des comportements sexuels était excessive et que l’interprétation de la loi de 2023 par l’Etat était inconstitutionnelle. « Historiquement, les bibliothécaires gèrent leurs collections en toute discrétion, et non sur la base de décrets d’en haut », a-t-il tenu à souligner.






































