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Vente d’Editis : Vivendi prêt au compromis avec Bruxelles pour s’emparer d’Hachette

Le groupe contrôlé par la famille Bolloré a indiqué, à l’occasion de ses résultats annuels, que sa priorité était « d’obtenir un accord de compatibilité de la part de la Commission européenne » examinant actuellement son OPA sur le groupe Lagardère, propriétaire d’Hachette. Mercredi, Vivendi a annoncé avoir déprécié Editis de 300 millions d’euros.

Priorité Hachette pour Vivendi. A l’occasion de la publication de ses résultats annuels, le groupe dirigé par la famille Bolloré se dit prêt à faire des compromis sur les modalités de la revente d’Editis – le numéro 2 du secteur français de l’édition qu’il contrôle. C’est la condition sine qua non pour que l’antitrust bruxellois donne son blanc-seing à l’OPA menée par Vivendi sur le groupe Lagardère, qui possède notamment Hachette , le leader français du marché et le numéro trois mondial à l’international.

« Nous sommes pragmatiques et notre priorité est d’obtenir un accord de compatibilité de la part de la Commission européenne. Nous avons rencontré Margrethe Vestager [la commissaire européenne à la Concurrence, NDLR] et ses équipes la semaine passée, et nous allons faire une nouvelle proposition d’ici à deux semaines », souligne Yannick Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi. « Nous sommes d’accord sur le remède, c’est-à-dire la cession d’Editis, et nous discutons encore des modalités de sa mise en oeuvre. »

L’été dernier, Vivendi avait annoncé qu’il allait revendre Editis via une opération de cotation-distribution en Bourse et la cession concomitante d’un bloc d’actions (entre 32 % et 37 %), permettant au repreneur de devenir l’actionnaire de référence du numéro deux tricolore de l’édition. Depuis plusieurs semaines, l’offre commune du trio composé par le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, le producteur audiovisuel Stéphane Courbit et le fondateur de Smartbox Pierre-Edouard Stérin est en pole position pour rafler la mise.

Dépréciation de 300 millions d’euros

Mais ce scénario n’est guère du goût de Bruxelles, qui préférerait d’abord une vente à 100 % d’Editis à un industriel du secteur à même de vraiment concurrencer Hachette, selon nos informations. Sans compter que la Commission pourrait s’attarder sur le risque de conflit d’intérêts inhérent à ce montage, puisque Vivendi est actionnaire à hauteur de près de 20 % de la société FL Entertainment de Stéphane Courbit. « Et il y a aussi le sujet de la diversité éditoriale qui va être examiné, car il y a une proximité idéologique évidente entre Bolloré et Stérin, qui s’est engagé dans la production de la docufiction du Puy du Fou, ‘Vaincre ou mourir’, aux côtés de Canal+ », estime un bon connaisseur du dossier.

Vivendi devrait prochainement revoir sa copie pour présenter un montage plus conforme aux attentes de la Commission, qui doit rendre les conclusions de son enquête d’ici au 23 mai. En parallèle, la société de la famille Bolloré annonce poursuivre les discussions avec tous les repreneurs potentiels encore en lice, dont la firme canadienne Québecor ou le groupe de presse Reworld.

Conformément aux négociations en cours sur la valorisation d’Editis, Vivendi a annoncé, mercredi, avoir passé une dépréciation de 300 millions d’euros concernant cet actif, ramené à une valeur comptable de 529 millions d’euros. « Nous sommes très satisfaits du travail fait avec Editis durant ces quatre années, même si le moment n’est pas des plus propices pour vendre, étant donné l’état actuel du marché de l’édition après un exercice 2021 record, et dans la mesure où nous nous en séparons sous la contrainte réglementaire », expose Arnaud de Puyfontaine, le président du directoire de Vivendi.

Editis a davantage souffert qu’Hachette en 2022

En 2022, le marché de l’édition française a effectivement reculé, en valeur, de 3 % sur un an, selon GfK Market Intelligence France. Toutefois, Editis a davantage souffert que ses rivaux puisque le groupe a vu son chiffre d’affaires reculer, sur un an, de 8,1 %, à taux de change et périmètre constants, à 789 millions d’euros quand Hachette, a vu, lui, ses revenus diminuer de 5,8 % en France.

La raison ? D’une part, le faible dynamisme du segment du scolaire, très cyclique car porté par les réformes des programmes. Une situation concernant tous les acteurs de premier plan de ce marché, de Belin (Humensis) à Magnard (Albin Michel), en passant par Nathan et Bordas (Editis), et Hachette Education et Hatier (Hachette). ​Mais là où le segment de l’éducation (englobant le scolaire et le parascolaire) représente un peu moins de 20 % du business de ce dernier, celui-ci pesait, en 2020, pour plus d’un quart des revenus d’Editis, qui en est davantage dépendant.

Autre explication : Editis ne parvient pas à enrayer sa tendance baissière dans la littérature générale, le premier segment du marché, à 1,054 milliard d’euros en 2022. Selon nos informations, le numéro deux de l’édition française a vu sa part de marché, en valeur (poche et non poche), reculer de 18,4 % à 17 % en 2022 quand Hachette est passé de 22 % à 22,9 %, tandis que Madrigall (Flammarion, Gallimard) a, lui, gagné un point sur la même période, à 22,4 %. Il y a cinq ans, la part de marché d’Editis s’élevait à 22 % sur le segment de la littérature générale.

« Un recul marqué »

« C’est un recul marqué qui correspond au départ de Guillaume Musso, Calmann-Lévy, en 2017 et à l’érosion des ventes de certains des poids lourds du catalogue d’Editis : Lévy, Bussi, De Rosnay », fait valoir un bon connaisseur du secteur. « Par ricochet, cela affecte aussi leurs revenus sur le poche, là où un Hachette résiste mieux parce que c’est la marque de référence [le Livre de Poche est devenu un nom commun, NDLR] et bénéficie de son alliance avec Albin Michel lui permettant de distribuer des autrices à succès comme Mélissa Da Costa ou Valérie Perrin, qui ne sont pas éditées chez eux. »

En 2017, les parts de marché de Pocket (Editis) s’élevaient, en valeur, à 23,1 %, devant Le Livre de Poche d’Hachette à 22,9 %. L’an passé, celles du premier se sont établies à 16,2 % contre 25,5 % pour le second. Un paradigme expliquant les compromis que sont prêts à faire les dirigeants de Vivendi pour s’assurer de mettre la main sur cet actif.

 

Lire : Les Echos du 8 mars

 

Jean-Philippe Behr

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