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Le succès du livre d’occasion inquiète les éditeurs

La montée en puissance des plateformes pour les reventes de livres d’occasion bouleverse le marché. Les éditeurs, préoccupés par une baisse des ventes de livres neufs, plaident pour une rémunération sur les reventes.

Souvent un peu écorné, quelquefois franchement amoché ou légèrement griffonné. Le livre d’occasion s’échangeait dans les vide-greniers, les foires ou les bouquinistes des quais parisiens. Mais ce temps semble bien loin : le livre de seconde main est entré dans l’ère du numérique et s’acquiert désormais sur Vinted, Leboncoin, Amazon, Momox ou Rakuten et Fnac. Au point d’inquiéter éditeurs et auteurs.

La part de marché du livre d’occasion n’a cessé de grimper au cours de la dernière décennie. Selon la dernière grande étude sur le sujet, dévoilée par le ministère de la Culture et la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia), elle représentait en 2022, un cinquième des ventes de livres. Le nombre d’acheteurs de livres de seconde main a clairement bondi : la progression est estimée à 37 % selon Kantar entre 2014 et 2022, et à 27 % selon GfK.

En face, sur cette même période, le nombre d’acheteurs de livres neufs a lui diminué de 5 % selon Kantar et 12 % selon GfK, représentant autour de 25 millions de clients.

Le prix du livre d’occasion séduit

En clair, le livre d’occasion semble avoir bien mieux résisté sur cette longue période. C’est, selon l’étude, avant tout la faible cherté qui incite les Français à l’acheter – son prix moyen est de 4 à 4,50 euros contre autour de 11 euros pour un livre neuf – , bien devant des considérations écologiques.

Toutefois, l’an dernier, le livre d’occasion a pris un coup : il a perdu à la fois en chiffres d’affaires (-3,8 %) et en volume (-6 %), selon les données GfK-Nielsen IQ pour « Livres Hebdo », au printemps, et davantage que le livre neuf (-0,3 % en chiffre d’affaires). « C’est sans doute lié à une baisse de l’intensité des pratiques de lecture qui touchent le neuf comme l’occasion », souligne Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF).

Le livre d’occasion dominé par les plateformes

Dans cet environnement compliqué, il n’en reste pas moins que les professionnels du secteur sont inquiets de cette « industrialisation de la concurrence ». « A l’exception de 2020 et 2021, années de crise sanitaire, la baisse est continue sur le marché du livre neuf, sous l’influence de différents facteurs, notamment des modifications sur le Pass Culture etc. En face, le livre d’occasion se substitue en partie au livre neuf », explique Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition (SNE).

Difficile de mesurer la cannibalisation entre les deux. « Selon GfK, moins de 5 % des achats de livres d’occasion se font au détriment du neuf. Les deux peuvent au contraire être complémentaires : un lecteur qui a découvert un auteur grâce à l’occasion pourrait tenter d’acheter son dernier roman », nuance Guillaume Husson.

Pour le SNE, le problème n’est pas le bouquiniste du coin. Le livre gratuit ou à petits prix a toujours existé via les bibliothèques, les livres de poche, ou d’occasion, « mais ce qui a fondamentalement changé est la structuration du marché. On peut trouver via Internet, des livres, quelques jours après leur sortie en librairie. il n’y a plus de chronologie et le marché risque d’être de plus en plus capté à grande échelle par des plateformes ». De fait, selon le Syndicat national de la librairie française, seuls 10 % des libraires vendent souvent ou occasionnellement des livres d’occasion. Ce n’est donc pas une réelle source de profit pour eux.

Droit de suite

Or, le marché sur ces plateformes ne contribue pas à la création. Les éditeurs et auteurs voudraient instaurer un « droit de suite », comme cela existe dans le marché des oeuvres d’art : l’objectif serait de percevoir une petite partie du prix de vente sur le marché de l’occasion, de l’ordre de quelques dizaines de centimes – le SNE évoque autour de 30 centimes.

Une telle rémunération ne serait versée que par les grands acteurs à partir d’un certain seuil de chiffre d’affaires, afin de ne pas pénaliser les foires aux livres locales, les petits libraires etc. L’initiative est étudiée en haut lieu. Mais une telle disposition serait difficilement compatible avec le droit européen comme l’a d’ailleurs rappelé le Conseil d’Etat cet été. Et, tous les intérêts ne sont pas alignés.

Pour se faire entendre, les éditeurs comptent sur le soutien de la ministre de la Culture Rachida Dati pour porter le sujet au niveau européen, mais la rue de Valois attend que d’autres pays ou organismes en Europe appuient le sujet. « Il faudra donc du temps », souligne un bon connaisseur.

Lire : Les Echos du 11 novembre

Jean-Philippe Behr

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