CCFI

À quoi reconnaît-on un bon podcast ?

De plus en plus de structures et de personnes proposent des contenus audio natif, qu’il s’agisse de particuliers, studios, journaux, structures privées ou publiques. Mais si les offres se multiplient, une question subsiste : « Mais c’est quoi en fait, un bon podcast ? »

 

Pratique de niche il y a quelques années encore, le podcast est aujourd’hui en passe de devenir grand public. En France, une personne sur quatre (25 %) déclare en écouter au moins un par mois, d’après le Digital News Report 2019 réalisé par le Reuters Institute(1), un chiffre stable par rapport à l’année passée. Sur la totalité des personnes interrogées dans l’étude, ce ratio grimpe à 36 %. L’écoute de podcast est donc entrée dans les habitudes de consommation médiatique, et les articles conseillant tels ou tels contenus ne sont pas rares, en témoigne cette liste des Inrockuptibles ou celle-ci de Vanity Fair.

 

Nombreux sont désormais les acteurs, investis depuis plus ou moins longtemps dans le format, à proposer leurs contenus à des auditeurs en demande de qualité et de nouveauté. Indépendants, radios, studios (Louie Media, Binge Audio, Nouvelles Écoutes…), journaux (Le Monde, Libération, Le Figaro) et même plateformes de streaming musical (Deezer, Spotify)… Tout le monde a son podcast, pourrait-on pourrait dire, en raccourcissant à l’absurde. Le New York Times s’interrogeait sur cette mode : « Have we hit peak podcast ? » — comprendre « Avons-nous atteint le pic de la baladodiffusion ? », pour emprunter un vocable québécois.

 

Malgré leurs différences, les podcasts partagent un objectif commun : être écoutés. Or pour cela, un podcast doit être « bon ». Mais « bon » comment ? Question épineuse, à laquelle on répond forcément avec une part de subjectivité, en témoigne le mail de réponse du service de communication de l’application d’écoute de podcasts Majelan à notre demande d’interview : « Il n’y a pas selon nous de « recette miracle » d’un bon podcast ; tout dépend du sujet traité, du genre, de l’audience à laquelle on s’adresse…

 

Et c’est justement ce qui fait la force du podcast : la liberté qu’offre ce nouveau format laisse libre cours à la créativité, et c’est pourquoi on voit émerger autant de contenus très différents et de grande qualité. »

Des sujets novateurs

 

S’il semble difficile de définir ce qu’est un « bon » podcast, il faut rappeler que, comme tout format écrit, filmé, parlé, celui-ci résulte de choix qui impliquent nombre de facteurs humains et techniques.

 

Parmi ces différents éléments, celui du sujet se détache le plus clairement. C’est d’ailleurs l’un des arguments de vente du podcast en général. « Fondamentalement, le succès des podcasts s’explique parce qu’ils traitent de thèmes absents des médias dominants », soutient Silvain Gire, patron d’Arte Radio, structure vétérane de l’audio natif en France fondée en 2002.

 

Laura Cuissard, directrice de production chez Nouvelles Écoutes, studio de production lancé en 2016, estime elle aussi qu’un bon podcast doit s’intéresser aux « angles morts » : « Il y a un engagement presque politique à couvrir des choses que l’on ne voit pas ailleurs. » Même son de cloche du côté de Radio France — les radios s’intéressent de près aux contenus natifs, ou originaux, comprendre « qui ne sont pas d’abord passés sur les ondes » — : pour Matthieu Beauval, directeur de l’accélération et du partage de l’innovation, et Thomas Biasci, chef de projet, le contenu se doit de faire un pas de côté par rapport à la production habituelle. « On remarque, depuis que l’on fait de l’audio original, que le bon podcast permet de s’adresser à un public différent de celui qui écoute habituellement l’antenne, potentiellement en traitant de thématiques particulières. » Et cela, sans exclure les auditeurs déjà présents.

 

Mais pour Laura Cuissard, avoir un thème intéressant et l’aborder de manière innovante ne suffit pas. « Un bon podcast est incarné par quelqu’un de légitime. Parfois des personnes nous proposent des idées de sujets qui les intéressent, mais de loin. Ce que je trouve dommage. » La directrice de production de Nouvelles Écoutes tient à ce que le présentateur ou la présentatrice ait un attachement personnel avec le sujet qu’il ou elle traite. « Il faut que ça nous dépasse, que ça dépasse la personne qui présente. »

 

En outre, appuie Samia Basille, podcasteuse indépendante et créatrice du site Radiotips, webzine sur les podcasts, « il faut que l’audio apporte quelque chose à ce qui est raconté, et que ça serve vraiment l’histoire ». Car pour la podcasteuse, un bon podcast raconte avant tout une histoire, peu importe la forme que prend le récit. « À la fin de l’écoute, on doit avoir compris où la personne voulait nous emmener, on doit avoir appris des choses. »

 

Un exemple de « bon modèle de podcast », Silvain Gire, d’Arte Radio, en a un qu’il « fait souvent écouter lorsqu’ [il] donne des formations » : Et là c’est le drame de Victoire Tuaillon. Dans ce podcast, la journaliste(2) s’intéresse de près à la diction si particulière des journalistes de télévision. Elle-même passée par France 2, elle explique pourquoi ses reportages étaient acceptés, mais pas ses commentaires, sa voix off ne cadrant pas. « Elle rencontre différentes personnes, intègre énormément d’extraits audio, combine plusieurs types de registres. On apprend plein de choses, on rigole, il y a de l’émotion, c’est un excellent exemple… »

Créer de la complicité avec les auditeurs

 

Autre ingrédient important du podcast, la relation entre l’émetteur du message et le récepteur est souvent mise en avant par les annonceurs pour expliquer leur investissement dans le format. Sans aller dans les considérations économiques, cette intimité est primordiale pour Laura Cuissard, qui rattache un bon podcast à la personne qui l’incarne : « Je me souviens de sa voix, de l’intimité et de la complicité qu’elle arrive à créer. »

 

Silvain Gire établit, lui, une analogie entre le podcast et la lecture. « Ce sont des postures intimes, avec du temps devant soi, très immersives, absorbées. On ne s’adresse pas à un public nombreux lorsque l’on parle, on s’adresse à une auditrice, un auditeur à la fois ». Pour le patron d’Arte Radio, il ne faut toutefois pas confondre complicité et complaisance vis-à-vis des auditeurs. « C’est une chose qui me gêne beaucoup et que je sens émerger : finalement, il s’agirait de dire tout haut ce que l’auditeur veut entendre. » Et de soutenir que le bon podcast opère avec un niveau supplémentaire : « Il n’y a pas que l’intime, le « je », il faut aussi avoir une certaine distance par rapport à soi, se mettre en scène, se moquer de soi. La limite entre complaisance et complicité est parfois difficile à tenir, d’où la nécessité d’un bon rédacteur en chef. »

Explorer de nouveaux modes de narration

 

Si l’on sait de quoi l’on va parler, la manière de le faire est intimement liée au format global de la production. Les possibilités sont multiples : table ronde, interview, reportage, fiction… Pour Matthieu Beauval, de Radio France, une réflexion dans la manière de transmettre les informations est nécessaire : « Un bon podcast va s’aventurer sur de nouveaux modes de narration, tenter de s’adresse au public d’une nouvelle manière. » Cela peut impliquer un travail sur le ton, la position (pédagogue ou non) à adopter par le présentateur ou la présentatrice pour parler de tel ou tel sujet.

Au fil des années, un format en particulier s’est popularisé, celui de l’entretien. Selon Laura Cuissard, il est nécessaire d’aller plus loin. « L’interview est peut-être la forme que l’on a le plus travaillé explique-t-elle. C’est peu cher et facile à réaliser. » Les indépendants, seuls, peuvent se débrouiller et faire de très bonnes choses dans ce format, constate-t-elle, faisant néanmoins valoir la nécessité pour un studio « de proposer une innovation formelle, ce qui nous pousse plus vers le documentaire et la fiction ». Silvain Gire met en garde de son côté contre le « podcast d’amis », « même s’il peut donner de bons résultats ». « On enregistre des proches, des gens autour de soi, qui souvent nous ressemblent sociologiquement, culturellement… Cela ne va pas forcément très loin. »

Travailler le son

 

La question du format amène très logiquement à celle de la durée. Là où certains podcast durent moins de dix minutes — c’est le cas de Et là c’est le drame —, d’autres atteignent parfois l’heure, voire la dépassent. Mais cet élément ne joue pas de manière définitive sur la qualité du podcast, insiste Laura Cuissard. « Quand vous réussissez à dire ce que vous voulez en cinq minutes, et que ça fonctionne aussi bien en une heure quarante, c’est très bien. Les deux amènent des contraintes différentes, qui n’affectent pas en elle-même la qualité du programme final. »

 

Certaines minutes passent parfois plus lentement que d’autres, et la durée d’une émission est intrinsèquement liée au montage, rappelle le patron d’Arte France. « Beaucoup de podcasts sont à peine montés. J’écoute parfois des productions de vingt, voire quarante, minutes, et tout aurait pu être dit en cinq. »  Soulignant qu’il n’y a pas de bon podcast sans une écriture affirmée, un point de vue d’auteur, un ton, il martèle : « L’écriture, c’est la narration, ce que l’on entend, et donc le montage. »

 

À l’heure où il paraît si simple de créer son propre podcast, la technique fait couramment défaut, déplore Laura Cuissard. « Le mix est souvent négligé, car compliqué à aborder. Or, si un épisode est mal mixé, cela donne des voix métalliques, et on sort de l’écoute. » « Ma devise, nous explique Silvain Gire, est que technique, esthétique, éthique et politique sont interdépendantes. » Ainsi, si la voix de la journaliste est mieux enregistrée que celle de l’interviewé, c’est gênant d’un point de vue technique et esthétique, et cela devient une faute éthique ainsi que politique. « C’est fondamental pour nous, mais nous sommes une structure dotée de moyens, de matériel et d’exigences », nuance-t-il, faisant valoir que « tous les auteurs d’Arte Radio sont formés à la prise de son ». « Le son est une matière extrêmement difficile à rattraper si la prise est ratée, insiste Samia Basille. La voix doit donc toujours être bien captée, c’est indispensable. »

Quels indicateurs de performance suivre ?

 

La vie d’un podcast ne s’arrête pas à la fin de sa production : dans le meilleur des cas — et en croisant les doigts —, il sera téléchargé et écouté de nombreuses fois. Mais est-ce là le plus important ? La problématique de la mesure de la performance des podcasts est un sujet à part entière, régulièrement discuté, notamment avec la multiplication des plateformes de streaming sur le marché… Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, le nombre de téléchargement n’est pas nécessairement l’indicateur plus important. « Lorsqu’un podcast original se lance, il part de zéro, sans aucune notoriété, sans public », contextualise Matthieu Beauval. Si un podcast ne décolle pas, il faudra peut-être questionner la manière dont il a été fait, mais aussi voir s’il a eu toutes les chances pour conquérir son public, explique-t-il. « Un podcast peut ne pas exploser, mais il peut faire de la longue traîne, et cela nous permet de nous positionner sur des sujets en particulier. »

 

Même argumentaire au sein d’Arte Radio : « Nous sommes contents lorsqu’un podcast que nous estimons être de bonne qualité marche bien, commente Silvain Gire. La sanction de l’écoute existe, nous travaillons pour être écouté, y compris sur le service public. Mais qu’un podcast ait de bons chiffres de téléchargement implique-t-il nécessairement qu’il est bon ? On peut transposer cette réflexion à la télévision, et c’est une question compliquée. » L’audience est un facteur important mais pas décisif, relativise-t-il.

 

Au-delà du nombre de téléchargements, le principal pour les émissions est de trouver leur public et de le fidéliser, insiste Laura Cuissard. Un autre indicateur clé de performance (ICP ou, en anglais, KPI pour key performance indicator) a ses faveurs : le taux de complétion, indiquant si un podcast a été écouté, ou non, jusqu’au bout. « C’est quelque chose que je regarde d’un épisode à l’autre. S’il baisse dramatiquement ou si un podcast présente un mauvais taux de complétion, c’est qu’il y a une erreur de notre part. » Du reste, elle ne croit pas à une tyrannie des données à venir, même s’il « est intéressant de savoir comment les gens nous écoutent et ce qu’ils aiment ».

 

Matthieu Beauval, de Radio France, évoque, lui, plusieurs autres éléments, qui n’ont pas de rapport direct avec le son ou les données : la description du podcast et celles des épisodes sur les plateformes d’écoute et de téléchargement, les vignettes qui les accompagnent, mais aussi qu’un podcasteur soit actif dans sa manière de prendre la parole auprès de ses abonnés sur les réseaux sociaux. « Si je vois des producteurs ou des animateurs faire ça, je me dis que c’est quelqu’un qui a envie de me parler. Un bon podcast commence à l’être avant même d’avoir été écouté. » Plus largement, qu’un podcast provoque la discussion est un signe positif, estime Laura Cuissard. « En tant que productrice, ce que je préfère est de voir un échange autour d’un épisode, des partages, de le voir mentionner dans des stories. On m’a souvent expliqué, lors de mes études, que le son ne pouvait pas être viral. Certes, on n’atteint jamais la viralité d’un mème, mais nous réussissons à faire en sorte que les gens en parlent. »

Un format peu onéreux

 

Le retour des auditeurs, leur relation et leur attachement au contenu est un élément souvent mis en avant par les producteurs auprès des annonceurs. Si la monétisation des contenus audio en dehors de la musique est complexe, la recherche de modèles pérennes bat son plein, même si la plupart des acteurs du milieu souligne que le média est peu onéreux. Laura Cuissard le considère comme probablement plus accessible que la vidéo, malgré « un petit investissement au début ». De son côté, Matthieu Beauval argue « qu’il ne faut pas beaucoup d’argent pour avoir beaucoup d’idées ».

 

Et si Radio France « a désormais comme mission de développer ses ressources propres » et commercialise certains de ses contenus, qu’un podcast ne trouve pas de partenaire ou de marque souhaitant faire de la publicité en introduction n’en fait pas un mauvais contenu pour autant, insiste Matthieu Beauval. « Cela ne préjuge clairement pas de sa qualité. Si nous sommes convaincus qu’il faut faire ce contenu, nous le ferons. »

 

Une posture qu’adopte également Nouvelles Écoutes, aux dires de Nora Hissem, directrice de la communication et du marketing. Un bon podcast est écouté et a trouvé son audience, mais ce n’est pas nécessairement un podcast qui gagne de l’argent, assène-t-elle, avant d’ajouter : « Cependant, nous restons une entreprise dont le business model doit permette cette création ambitieuse, indépendante et éditorialement forte. Il faut trouver des moyens de gagner de l’argent, et cela passe par le brand content(3) et le sponsoring(4). » Cette question de la rentabilité se retrouve également chez les indépendants, seconde Samia Basille, elle-même indépendante auprès de différents studios. « Pour consacrer du temps à un podcast et pour faire du bon travail, il y a nécessairement un moment où il faut de l’argent. »

 

Dans cette optique, les intérêts commerciaux modifieraient-ils les attentes et les canons esthétiques de l’audio ? « Un ami m’a dit que les podcasts pourraient devenir l’équivalent des nouveaux soap opera, souffle Silvain Gire, que consciemment ou non, certains nouveaux auteurs de podcasts s’adapteraient pour faire plaisir aux annonceurs. C’est une éventualité ! » Un constat que ne partage pas nécessairement Matthieu Beauval, relativisant que « le podcast reste un formidable terrain d’exploration pour des coûts peu élevés » et que le jour d’une « tyrannie des donnée et de l’EBITDA(5) n’est pas encore arrivé ».

 

Alors que Spotify continue d’investir dans le marché, avec plus de 340 millions de dollars dépensés rien qu’en 2019, il y a fort à parier que des marchés pas tout à fait matures — c’est le cas de la France  selon Yu Wang de la société de podcast Himalaya, filiale du géant chinois Ximalaya — voient de nouveaux acteurs arriver. Et par la même occasion relancer la question de la qualité, des canons attendus et de leurs diversités ?

 

Lire : La Revue des Médias du 16 octobre

 

Jean-Philippe Behr

Nos partenaires

Demande d’adhésion à la CCFI

Archives

Connexion

Vous n'êtes pas connecté.

Demande d’adhésion à la CCFI