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Comment la France s’est vendue aux Gafam

Pour le pionnier du Web français Tariq Krim, l’histoire du déclin du numérique français est une tragédie en 3 actes. Il existe pourtant une sortie de crise.

Pourquoi la France est-elle passée du statut de pays leader dans la technologie à celui beaucoup moins enviable de nation consommatrice de smartphones obligée de mendier un peu d’oxygène aux grandes plateformes pour développer ses projets  ?

L’histoire du déclin du numérique français est une tragédie en trois actes. Il y eut d’abord les «  30 honteuses du numérique  », où une petite élite arrogante et dénuée de vision stratégique a démantelé notre industrie informatique et électronique grand public. Elle a débranché les travaux de recherches les plus intéressants et laissé nos meilleurs développeurs partir à l’étranger faute de pouvoir les associer à des projets ambitieux.

Vient ensuite la capitulation vis-à-vis des grands acteurs américains. Ainsi, de nombreux politiques et hauts fonctionnaires français leur ont permis d’intégrer leurs technologies au cœur des prérogatives régaliennes de l’État : défense, renseignement, éducation, sécurité, mais aussi culture. Plusieurs d’entre eux quitteront leurs fonctions pour aller rejoindre ces sociétés.

Le troisième acte se joue en ce moment. Alors que nos dirigeants se préparent à une vente à la découpe, il reste cependant un mince espoir d’inventer une autre manière d’utiliser le réseau plus en phase avec nos principes et nos valeurs. Mais pouvons-nous encore changer la doctrine des politiques numériques de la France  ? Quand on écoute nos hommes politiques, le déclassement de l’Europe vis-à-vis de l’Internet est présenté comme une fatalité. Un accident de l’Histoire à l’issue duquel les clés du monde de demain auraient été données aux États-Unis et à la Chine.

La réalité est beaucoup plus douloureuse. En 1993, les États-Unis lancent le projet des «  Autoroutes de l’information  » qui fera notamment de l’Internet et du numérique le fer de lance de leur nouvelle stratégie de croissance. Au même moment, l’Europe décide de miser sur les industries traditionnelles… et le diesel propre  ! Vingt-cinq ans plus tard, les Gafam dominent aujourd’hui le monde et le patron d’Audi a été arrêté pour avoir faussé les mesures de pollution de ses moteurs. En France, les Gilets jaunes ne comprennent pas pourquoi ils sont taxés sur le diesel alors que pendant des années on les a massivement incités à acheter les voitures utilisant ce type de carburants.

Nous aurions pu avoir un autre destin, car si les États-Unis avaient la vision et l’argent, c’est en Europe qu’ont été inventées deux des briques fondamentales de l’Internet : Linux et le Web. Mais à la différence du standard GSM, ces dernières ont eu le malheur d’être conçues par des individus talentueux hors des grandes institutions. Snobés chez nous, ces deux projets deviendront le moteur des plateformes numériques américaines et chinoises et l’instrument de leur domination mondiale. Car c’est bien de la détection précoce des technologies d’avenir et des talents que viennent les succès de sociétés comme Google, Apple, Facebook, Amazon ou Microsoft. La France ne voit pas les choses de la même manière, notre élite méprise ce qui est marginal, différent ou simplement trop petit. Le scénario de «  dénumérisation  » de la France suivra toujours le même schéma. Nous vendrons à la casse nos sociétés, ou les dilapiderons alors qu’elles possédaient en interne les technologies qui, si elles avaient été mieux valorisées, nous auraient permis d’influencer la direction prise par l’Internet.

Tout commence dans les années 70, avec l’abandon du réseau Cyclades de Louis Pouzin au profit du Minitel. Louis Pouzin en est le concepteur et il est l’inventeur de la segmentation des données en «  Datagramme  ». Il sera récompensé (avec Tim Berners-Lee et Vinton Cerf) par la reine d’Angleterre pour ses contributions essentielles à la création de l’Internet et il reste à ce jour un inconnu du grand public en France. Il faudra attendre 1994 pour que nos chercheurs acceptent enfin de s’intéresser à autre chose qu’à des technologies incompatibles avec l’Internet. Dans les années 90, c’est au tour du Premier ministre de l’époque Alain Juppé d’expliquer, au journal de 20 heures, sa décision de vendre à la casse Thomson Multimédia au coréen Daewoo : «  Thomson, ça ne vaut rien, juste un franc symbolique. » Le gouvernement obsédé exclusivement par le volet social de l’entreprise ignore que Thomson multimédia dispose d’une grande partie des brevets sur la musique (le fameux MP3) et la vidéo en ligne qui seront utilisés quelques années plus tard dans tous les smartphones. Sa branche grand public sera démantelée et vendue au chinois TCL et ses meilleurs ingénieurs partiront chez Google…

Pascal Lenoir

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