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Environnement : le monde de l’édition se met en ordre de bataille

L’industrie du livre s’organise progressivement pour verdir ses pratiques. La consommation de papier constitue l’un des principaux leviers à activer pour les éditeurs – avec, en arrière-plan, la problématique de la surproduction de livres.

Ce n’est encore qu’un symbole, mais il s’agit néanmoins d’un tournant pour le monde de l’édition. En mai, le Centre national du livre (CNL) a mis en place une charte des valeurs, dont l’un des volets vise à « engager collectivement et individuellement les professionnels du secteur » sur des actions en faveur de la transition écologique.

Dans ce document, le CNL pointe que « comme toute industrie, le secteur du livre possède une empreinte environnementale forte. Même si une partie des acteurs de la filière est depuis longtemps engagée dans certaines pratiques, des améliorations doivent encore être mises en oeuvre ». Un constat partagé par de nombreux professionnels.

« Dans les années 2000, seulement 50 % du papier utilisé par les éditeurs français étaient certifiés en provenance de forêts durablement gérées ou recyclées. Nous sommes montés à 98 %. On a fait du chemin », rembobine Thomas Bout, directeur des éditions Rue de l’échiquier, spécialisée sur les questions écologiques.

« Mais la prise de conscience que nous devons aller plus loin est récente. Longtemps, notre industrie s’est voilé la face, en se disant que nous polluons bien moins que d’autres secteurs et que le livre est un produit noble à qui il ne faut pas appliquer les mêmes critères. Mais il y a des gabegies que l’on ne peut plus se permettre », poursuit celui qui a cofondé le Collectif des éditeurs écolo-compatibles.

« Le papier pèse entre 50 % et 60 % des émissions carbones des éditeurs français »

Aujourd’hui, l’impression-façonnage, le transport mais surtout le papier, et donc la surproduction, sont les principaux leviers à activer. « On estime qu’en moyenne, le papier pèse entre 50 % et 60 % des émissions carbones des éditeurs français », souligne Pascal Lenoir, président de la commission environnement du Syndicat national de l’édition (SNE) et directeur de la production chez Gallimard. Le leader français, Hachette, vient de présenter un plan mondial portant le fer tout particulièrement sur ce poste énergétique. « Nous sommes focalisés sur notre consommation de papier », note Pascale Launay, directrice ​communication et RSE chez Editis, le numéro deux français.

A l’heure actuelle, l’édition absorbe 7 % de la consommation de papier graphique en France, selon l’Ademe. Ce qui s’est traduit par la production de 554 millions de titres (nouveautés et fonds de catalogue compris) en 2021, d’après le SNE. Un volume en forte hausse sur trente ans, mais stable depuis une décennie.

La question du pilon

L’an passé, l’édition française a consommé 191.000 tonnes de papier pour la production de livres, selon le SNE. En tout, près de 35.000 tonnes ont été retournées par les libraires vers les distributeurs. Sur ce volume, 8.800 tonnes ont été réintégrées dans le circuit de distribution, 3.600 tonnes ont fait l’objet de dons. Mais après tous ces efforts, plus de 22.000 tonnes sont malgré tout envoyées au pilon pour être recyclées.

« Cet aspect demeure un angle mort dans le secteur, pointe Thomas Bout. Le pilon constitue une perte de valeur notable puisqu’avec la matière première recyclée, il faut pratiquement quatre livres pilonnés pour en refabriquer un seul ».

« Standardisation de l’offre »

Globalement, la question en amont de la surproduction demeure plus que jamais prépondérante. Ce qui induit que le secteur doit mettre à jour son logiciel économique, l’édition étant une économie de l’offre. « C’est un débat qui est loin de n’être que financier mais est aussi sociétal, note Pascal Lenoir. Derrière, se joue la question de la richesse des contenus et de la bibliodiversité. Concevoir 30 livres différents, ce n’est pas assimilable à la production de 30 produits de consommation courante de marques différentes. »

« On constate une standardisation de l’offre, rétorque Fanny Valembois, spécialiste des démarches de décarbonation des organisations culturelles au sein du think tank The Shift Project. Quand vous voyez une vingtaine de livres sur le même thème en librairie, c’est qu’il y a collectivement quelque chose à repenser. Il faut aussi que le marché de l’occasion se développe, mais avec un modèle économique viable pour les éditeurs et les auteurs. Ce qui n’est pas le cas actuellement. »

Equilibre économique précaire

Car aussi stable qu’il soit, le marché de l’édition présente un équilibre économique qui ne tient qu’à un fil, des libraires aux éditeurs. L’aggiornamento écologique et les coûts potentiellement induits ne sont pas sans risque pour de nombreux acteurs.

Reste que l’année 2020 a marqué un tournant. Avec la crise sanitaire, moins de nouveautés ont été proposées par les éditeurs, sans que cela n’affecte outre mesure leurs revenus.

Une sorte de test de marché qui a déjà eu des conséquences dans la stratégie-volume des éditeurs. Lors de la dernière rentrée littéraire, 490 nouveaux romans ont vu le jour, d’après « Livres Hebdo ». Un niveau historiquement bas en plus de vingt ans. « Il y a un alignement de l’impératif écologique et des contraintes économiques alors que les livres coûtent de plus en plus cher à produire », note Claude de Saint-Vincent, directeur général de Média Participations.

Depuis plusieurs années, l’association Clic.EDIt (créée par le SNE et l’Union nationale des industries de l’impression et de la communication, associés aux principaux acteurs de la chaîne du livre) travaille sur un calculateur intégrant un vaste panel de données (choix du papetier, de l’imprimeur, du transporteur, etc.). Cet outil doit permettre à chaque utilisateur de Clic.EDIt de mesurer en amont le bilan carbone découlant de ses différents choix de sous-traitants. « On veut que cela devienne un standard et que nous parlions tous un langage commun, note Pascal Lenoir. Il n’y a qu’avec une démarche collective que l’on débouchera sur des solutions fortes. » Ce calculateur pourrait être lancé dans un an.

 

Lire : Les Echos du 20 décembre

 

Jean-Philippe Behr

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