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Google aide les médias à recruter des abonnés, mais ce n’est pas de la philanthropie

Le Monde sera prochainement le premier média français à s’appuyer sur le service d’abonnement via Google, « Subscribe with Google ». Mais cette relation entre éditeur et géant du numérique profite-t-elle de façon équitable aux deux parties ?

 

Simplifier la prise d’abonnement en ligne. C’est ce qu’espère Le Monde en « s’adossant » à Google, comme il l’a annoncé en février. Le service, appelé « Subscribe with Google », fait partie de la Google News Initiative, proposé par la firme de Mountain View. Concrètement, cette fonctionnalité est un « moyen simplifié de créer un compte sur un média en ligne et de s’y abonner », comme l’écrivait Frandroid lors du lancement en 2018, et  devrait également offrir une visibilité accrue sur le moteur de recherche. Solution de paiement et d’identification, le service prélève une commission d’intermédiation : d’après mind Media, 5 % pour un abonnement pris à partir du web et 15 % à partir d’une application mobile. Un écart qui témoigne de l’essor du mobile comme principal relais de croissance de l’économie numérique et lieu de concentration d’une grande partie de nos usages quotidiens.

 

Cette annonce s’inscrit dans un contexte où les deux principaux acteurs du mobile, Apple et Google, étendent leurs activités vers les moyens de paiement avec Apple Pay et Google Pay, qui visent, une fois les coordonnées bancaires de l’utilisateur enregistrées, à concurrencer la carte bancaire comme moyen de paiement. Dans le même temps, les médias en ligne, poussés par les réglementations en cours dans le domaine de la publicité numérique (ePrivacy notamment) qui menacent le cookie tiers, se dirigent vers des systèmes d’identification centralisés. Cela leur permet de garder la trace des utilisateurs sur un périmètre élargi de sites, à l’image de ce qu’on fait six éditeurs français récemment avec le Pass Media.

 

Améliorer la segmentation des offres commerciales

 

Pour les utilisateurs, le principal attrait de cette nouvelle fonctionnalité de Google repose sur la fluidité du processus de paiement et de désabonnement, gérés via le magasin d’applications PlayStore. Il suffit en effet d’enregistrer ses coordonnées bancaires une seule fois pour bénéficier de fonctionnalités développées par les différents groupes d’acteurs (annonceurs, développeurs, éditeurs, utilisateurs) réunis autour de ce point de passage obligé qui centralise les échanges.

 

À travers cette nouvelle solution, les internautes ayant créé un profil sur le site web d’un éditeur (ici lemonde.fr) peuvent facilement s’abonner via un bouton intégré aux pages. L’idée consiste à opérer une meilleure segmentation des offres commerciales d’abonnement en les adaptant au profil de l’utilisateur. Une dynamique dans laquelle les principaux éditeurs sont engagés. L’abonnement apparaît ainsi comme un moyen de s’émanciper de la dépendance aux revenus publicitaires qui profitent essentiellement au duopole Google et Facebook.

 

Le Monde compte aujourd’hui 230 000 abonnés en ligne. L’objectif posé par le président de son directoire Louis Dreyfus est très ambitieux, puisqu’il table sur un million d’abonnés en 2025. Il s’agit donc de multiplier ce nombre, mais aussi, parallèlement, d’augmenter le chiffre d’affaires moyen par utilisateur (Arpu pour average revenue per user). À cette fin, les nouvelles technologies pourraient être d’un utile secours dans la segmentation des prospects et des clients. En effet, les données accumulées sur les profils de millions d’utilisateurs participeraient à repérer celles et ceux susceptibles de s’abonner, proposant une discrimination tarifaire fine pour adapter le tarif selon le consentement-à-payer des utilisateurs. Déjà testée par une cinquantaine de médias dans le monde (dont le Financial Times, le Guardian ou le Corriere della Serra), « Subscribe with Google » aurait permis à deux éditeurs majeurs  de connaître une croissance de leurs abonnés de 30 % supérieure à celle obtenue par leurs propres moyens, aux dires de Christian Heise, en charge des partenariaux mondiaux au sein de Google, cité par What’s New In Publishing.

 

Une relation vraiment équitable ?

 

L’action de Google ne se limite néanmoins pas à une philanthropie dans le domaine des médias numériques. Les relations avec les plateformes se jouent à plusieurs niveaux. L’abonnement numérique est un nouveau terrain sur lequel s’engagent les éditeurs sans être complètement au contrôle de ce type d’expérimentation.

 

Google pourrait se comporter de façon opportuniste et se servir de cette nouvelle connaissance sur les publics, leur consentement à payer, pour ajuster ses offres, améliorer sa capacité de segmentation client, leur proposer ensuite des offres concurrentes, voire mettre en compétition les acteurs de la presse dans un même service. Il pourrait aussi se servir de ces informations pour lancer un service dédié à l’abonnement à la presse, un kiosque ou une application payante qui fonctionnerait sur un modèle d’offre groupée (bundle) si un certain nombre d’éditeurs étaient prêts à le suivre.

 

La firme de Mountain View affirme qu’elle partagera avec les éditeurs les données clients collectées. Fort bien, mais il convient aussi de tenir compte du pouvoir de marché et de l’avance que possède la plateforme dans le traitement des données utilisateurs. Les partenaires étant aussi concurrents, on peut donc se demander si ce service contribuera à apaiser les relations entre les médias et les plateformes et s’interroger sur qui en sera le principal bénéficiaire.

 

300 millions d’euros pour le Google News Initiative

 

À l’instar du Fonds pour l’innovation numérique de la presse (Finp), actif de 2013 à 2016 en France et doté de 60 millions d’euros pour trois ans, le financement de la Digital News Initiative (DNI), lancée en 2015 avec 150 millions d’euros de fonds, est combiné à une assistance technologique. Google s’est ainsi donné comme « mission » avec la DNI d’aider les médias européens à monétiser d’un point de vue publicitaire l’audience qu’il leur apporte, et, désormais, en transformant ces publics en abonnés.

L’initiative s’inscrit dans le cadre de la Google News Initiative et s’articule autour de trois axes : le développement de produits, le soutien à l’innovation ainsi que la formation et la recherche. En mars 2018, Google a lancé un projet plus large et qui prend le relais de la DNI : la Google News Initiative, dotée de 300 millions d’euros que le géant de l’Internet prévoit d’investir sur trois ans. Outre « Subscribe with Google », il propose la création d’une rubrique « Top news » et un « Disinfo Lab » pour lutter contre la désinformation lors des campagnes électorales.

 

Lire : INA du 11 février

 

Jean-Philippe Behr

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