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La France au chevet de sa forêt

Le gouvernement doit annoncer à la rentrée son plan pour sauvegarder la forêt française. Choix des essences à planter, mode de renouvellement, financement : les défis sont nombreux et les arbitrages très attendus.

Planter des arbres : à l’heure où nombre de Français en vacances profitent de leurs ombrages, les forêts reviennent au premier plan de l’agenda gouvernemental. Le 26 juillet dernier, le jour même où le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) publiait sa feuille de route sur le sujet, le groupe de travail issu du Conseil supérieur de la forêt et du bois (CSFB) remettait ses conclusions au ministre de l’Agriculture Marc Fesneau et à la secrétaire d’Etat à la Biodiversité, Sarah El Haïry « en vue de l’élaboration du plan national de renouvellement forestier ».

Les « Assises de la forêt » qui se sont achevées au printemps 2022 avaient déjà souligné la nécessité de prendre des mesures face à la dégradation de la forêt française. La question a été, depuis, placée parmi les priorités de la planification écologique, au même titre que l’eau. Emmanuel Macron en a fait l’un de ses mantras sur l’écologie, ayant promis fin 2022 de planter 1 milliard d’arbres en dix ans.

1 milliard d’arbres

« Dans ce rapport, nous avons voulu dresser un état des lieux objectif des besoins et proposer une réflexion à dix ans sur une gestion durable de la forêt française », explique Sylvestre Coudert, expert forestier patron de la société Forestry, qui a présidé le groupe de travail du CSFB.

« Un milliard d’arbres, c’est un chiffre symbolique, mais nous avons validé que l’ambition sous-jacente, renouveler 10 % de la forêt en dix ans, était réaliste », poursuit l’expert. Entre 1,5 et 1,7 million d’hectares seraient concernés, selon le rapport, sur une surface boisée de 17 millions d’hectares en France métropolitaine.

L’enjeu est fondamental à plus d’un titre. La forêt abrite une biodiversité nécessaire à de nombreux écosystèmes ; elle absorbe et stocke du carbone, jouant un rôle crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique ; c’est aussi une matière première, de plus en plus utilisée comme source d’énergie et indispensable à la filière bois. Mais elle est mal en point : menacée par le réchauffement climatique, elle peine à remplir encore ses fonctions .

Pour la sauvegarder, 8 à 10 milliards d’euros sur dix ans seront nécessaires, estime le rapport. Le gouvernement dévoilera à la rentrée la contribution de l’Etat : en présentant le rapport du CSFB fin juillet, Marc Fesneau a assuré qu’un « fonds de renouvellement pérenne » serait créé à cet effet dans le cadre de la prochaine loi de finances.

Questions sur les essences à planter

« Nous estimons le soutien public nécessaire entre 200 et 250 millions d’euros par an », indique Sylvestre Coudert. Après avoir mis 200 millions d’euros sur la table en 2020 dans le cadre de France Relance, l’Etat a débloqué avec France 2030 une nouvelle enveloppe de 150 millions d’euros pour 2023, sans promesse pour la suite.

« La gestion de la forêt s’opère sur le temps long. Les propriétaires ont absolument besoin de visibilité », insiste Antoine d’Amécourt, président de Fransylva, la fédération des forestiers privés qui possèdent 75 % de la forêt française.

D’autres arbitrages complexes sont attendus. Assurer une gestion durable de la forêt nécessite une multitude de décisions, qui ne font pas toutes consensus. Par exemple, quelles essences planter ? Au-delà même de la question de la disponibilité des graines et des plants, les futurs arbres devront être adaptés au réchauffement climatique qui s’annonce. Le CSFB a commencé à travailler sur une liste, mais la réponse n’est pas simple. « Tout dépend des régions, de l’altitude, des sols », reconnaît Sylvestre Coudert.

Compte tenu de la durée de croissance des arbres, l’expérience manque. « L’Office national des forêts a commencé à effectuer des tests, mais il faudra quelques années pour savoir si des pins, des hêtres ou des chênes adaptés au sud de la France peuvent survivre dans le Nord », relève Philippe Ciais, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) du CEA.

Selon les derniers décomptes officiels, 38 % des plantations d’arbres effectuées l’an dernier n’ont pas survécu. Les ONG craignent aussi que les nouvelles essences soient choisies pour leur potentiel économique, au détriment des enjeux de biodiversité.

Vif débat sur les coupes rases

C’est sur la façon de renouveler la forêt que les débats sont les plus vifs. Certaines ONG, comme Canopée, dénoncent un rapport qui « promeut les coupes rases » de forêts existantes pour replanter. « Un arbre commence à absorber du carbone au mieux dix ans après sa plantation : tout raser et replanter, sous prétexte qu’il y a 20 % d’arbres morts sur une parcelle, cela détériore le puits de carbone », s’insurge l’ingénieur forestier Sylvain Angerand, fondateur de l’association. Sans parler de la perte de biodiversité, ou du carbone relâché sous l’effet du passage sur les sols d’engins forestiers.

« Nous préconisons des solutions multiples », se défend Sylvestre Coudert. « Mais les coupes rases font partie du cycle de gestion des forêts : il faut effectivement les limiter, mais elles sont parfois nécessaires », explique-t-il. Pour récolter des arbres plantés en même temps et arrivés à maturité, ou encore renouveler des parcelles jugées en mauvais état ou peu adaptées au réchauffement climatique, argumentent les acteurs de la filière.

Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, avait un temps évoqué l’idée de cesser le financement public des coupes rases tant décriées, mais défend aujourd’hui une position plus nuancée. «Nous sommes défavorables aux coupes rases pour les forêts qui ont encore du potentiel, c’est-à-dire qui ne dépérissent pas à court terme», explique-t-on au sein de son cabinet. Elles sont bannies en Suisse, et limitées en Pologne, en Autriche et en Allemagne.

La position finale du gouvernement sera scrutée avec attention, d’autant que les arbitrages devront aussi intégrer les objectifs de la stratégie nationale pour la biodiversité 2030, dévoilée mi-juillet par Elisabeth Borne.

Sylvain Angerand de Canopée réclame que les aides publiques soient conditionnées à des critères plus stricts de biodiversité. Il craint de n’être pas entendu. « Nous sommes en train de travailler avec des députés sur une proposition de loi transpartisane pour faire avancer ces sujets », dit-il. La rentrée promet d’être animée.

 

Lire : Les Echos du 16 août

 

Jean-Philippe Behr

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