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La publicité est-elle compatible avec l’écologie de l’attention ?

Dans un monde où les sollicitations arrivent de toutes parts, jusqu’à la saturation, les marques ont un rôle à jouer. Et elles commencent (doucement) à changer leurs comportements.

 

Au début du mois de novembre, la Chine a décidé d’encadrer drastiquement l’exposition des mineurs aux jeux vidéo. Le pays a instauré un couvre-feu numérique qui empêche les moins de 18 ans de se connecter entre 22h et 8h. Pour Stephen Demange, directeur conseil chez SQLI, cette mesure est « la preuve d’une crise » : « De toute évidence, il y a une crise de l’attention. Nous sommes constamment sollicités, et se pose la question de la capacité du cerveau à intégrer tous ces messages. C’est un vrai problème de santé publique. » Et résoudre cette crise sera l’enjeu commun des marques et des médias pour les années à venir, selon les experts invités à la conférence sur l’écologie de l’attention organisée par SQLI, le 14 novembre dernier.

188 millions de mails par minute

 

Chacun d’entre nous a déjà vécu ce sentiment d’être submergé par le flot de mails à lire, coupé dans sa concentration par les vibrations de son mobile ou encore incité à vérifier ses notifications sur les réseaux sociaux. C’est normal, l’espace est saturé, comme le souligne cette infographie réalisée par Visual Capitalist résumant tout ce qui se passe sur Internet en une minute. Résultat : 188 millions de mails et 41,6 messages (via Facebook Messenger et WhatsApp) envoyés, 4,5 millions de vidéos visionnées sur YouTube et 1,4 swipes sur Tinder. « Aujourd’hui, chacun d’entre nous est soumis à 6 000 messages publicitaires par jour », ajoute Bruce Hoang, Digital and Data director chez Orange.

 

Bref, nous sommes accros à nos écrans et nous croulons sous les sollicitations. Et selon Bruno Patino, dans son livre La civilisation du poisson rouge, cela impacte notre temps d’attention, qui se réduit inexorablement et serait tombé à 9 secondes chez les plus jeunes. Dans ce brouhaha ambiant, difficile de faire exister son message, noyé dans le flux continu du web. Surtout lorsque les adblockers font office de boules Quiès. Alors, comment émerger ?

The context is the message

 

Déjà, en arrêtant de matraquer le même message pour tout le monde mais en tenant davantage compte du contexte. « La publicité est plus efficace dans un contexte favorable », assure Eva Respaut, directrice marketing en charge de l’innovation et de la communication chez M6 Publicité. La chaîne développe ainsi des écrans contextualisés qui permettraient d’avoir un impact plus fort. « Par exemple, pour Le Meilleur Pâtissier, tous les spots de l’écran concernent des produits qui, mis bout à bout, permettent de réaliser une recette de cuisine. L’histoire que l’on raconte est plus efficace et permet de garder le téléspectateur plus longtemps sur l’écran parce que ça l’intéresse vraiment. »

 

Autre astuce : proposer un contrat clair dès le départ. M6 Publicité déploie ainsi un nouveau concept d’écran, « le 60 secondes chrono ». « Au départ, un jingle avertit que le programme revient dans moins d’une minute. On l’a testé et il a été plébiscité par l’audience. Il permet plus d’impact pour les annonceurs, avec une mémorisation très élevée », se réjouit Eva Respaut.

 

Le contexte serait-il le nouveau roi ? « Quand on regarde la télévision, on est dans un contexte particulier où on ne fait pas autre chose et on ne peut pas partir à la pause. Sur Internet, lorsque l’on est sur un fil Facebook ou Instagram, c’est l’inverse », souligne Stephen Demange. « C’est rempli de messages qui ne sont pas toujours pertinents, mais cela fait partie de l’expérience. Cela oblige à ce que ces messages soient intéressants et non une exposition de marque pure et dure. » Et c’est parce que le contexte a changé, avec toujours plus de connexion en mobilité, que les formats de type podcast ont explosé ces dernières années.

On ne triche plus avec les audiences

 

Le contexte a changé, les audiences aussi. « En tant qu’entreprise du XXe siècle, nous sommes passés d’un modèle de média de masse à celui de média personnalisé », explique Bruce Hoang. Tout part de l’audience, il est donc crucial de bien connaître la sienne ou celle de sa cible. Les nouvelles générations jouent avec leurs propres règles ? Aux marques de s’adapter ! « La génération Z est une génération en disruption avec tous les modèles, c’est une génération qui est extrêmement activiste et consciente du pouvoir des algorithmes et des plateformes, poursuit ce spécialiste des data. Elle n’en peut plus d’être saturée de messages et elle a compris les mécanismes de design persuasif. Il va falloir s’adapter à ses codes et être éthiques et authentiques. »

 

« On a des audiences qui sont de plus en plus autocentrées, qui ont un besoin de personnalisation extrêmement fort », note pour sa part Eva Respaut. Avec un enjeu derrière : celui de l’engagement. « Face à cette crise de l’attention, notre enjeu est de regagner en qualité d’attention et en qualité d’expérience, pour pouvoir capitaliser sur des audiences qui seront plus engagées », poursuit-elle.

Et si on oubliait l’auto-promo ?

 

Alors, comment capter une audience plus exigeante et pas franchement friande de pub ? En ne faisant pas de pub. Fini l’auto-promo des produits, place au partage des valeurs. C’est le parti pris d’Orange dans sa campagne pour inciter les jeunes à lâcher leur téléphone. Un comble pour l’opérateur historique de téléphonie.

 

« Nous sommes une marque avec des valeurs : proximité, authenticité, éthique et simplicité. On se doit de sortir du bois », explique Bruce Hoang. Et si l’industrie publicitaire a son rôle à jouer, n’oublions pas les médias qui sont acteurs de cet environnement.

 

Pour la journaliste Anne-Sophie Novel, autrice de l’enquête Les médias, le monde et moi, les médias doivent également créer une nouvelle écologie. « Retrouver le temps de faire une bonne enquête, d’aller sur le terrain et de prendre du recul par rapport à l’actualité et cesser la course au sensationnel. Retrouver le public : qu’est-ce qu’il attend ? Comment interagir avec lui ? Comment monter des communautés mais ne pas en dépendre ? Retrouver du sens, aller vers plus d’engagement et plus d’honnêteté, cesser de dire qu’on est objectif mais affirmer d’autres types de valeurs. Retrouver un cadre, enfin, qui affirme une ligne éditoriale et une déontologie ».

 

Car, comme le souligne Yves Citton, auteur du livre Pour une écologie de l’attention, dans une récente interview à 20 Minutes : « Nous avons une responsabilité individuelle et collective dans la façon dont nous programmons les environnements qui vont conditionner nos attentions demain, après-demain et dans dix ans. »

 

Lire : l’ADN du 5 décembre

 

Jean-Philippe Behr

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