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Mangas : fin des « années folles » sur le marché français

Entre janvier et mai, ce pan du secteur du livre a vu ses ventes reculer de 18 % en volume sur un an, selon GfK Market Intelligence France. Une baisse à nuancer, car celle-ci intervient après plusieurs années fastes ayant porté le manga vers des sommets himalayens.

Même les moteurs de Formule 1 ont parfois besoin de refroidir. Après des années d’euphorie et de croissance annuelle à deux voire trois chiffres – le marché a doublé en 2021 ! -, le secteur français du manga a enclenché la marche arrière. Entre janvier et mai, ce pan du secteur du livre a vu ses ventes reculer de 18 % en volume sur un an, à 16,2 millions d’exemplaires, selon GfK Market Intelligence France. En valeur, le chiffre d’affaires s’est établi à 130,1 millions d’euros, soit une baisse de 14 %. Un recul qui doit cependant être nuancé. Même en ayant perdu un peu de poids économique, le manga pèse encore deux fois plus qu’en 2019.

Ces dernières années, ce format a connu un âge d’or, portant le marché hexagonal de la bande dessinée vers des sommets himalayens (plus d’une BD vendue sur deux est un manga) . Au point que cette activité fait figure de pilier économique pour le secteur global du livre en France : l’an passé, le manga a représenté près de 10 % des revenus de l’industrie.

« Naruto », « One Piece », « My Hero Academia »… : de multiples licences XXL ont nourri ce succès et conforté la France dans sa position de deuxième marché mondial du manga, derrière le Japon. Résultat, ce recul marqué n’affole guère les professionnels, d’autant qu’il est aussi dû à la fin de titres forts, comme « Demon Slayer » ou « L’attaque des titans ».

Une polarisation du marché

« Cette régularisation du marché est logique après la progression constante depuis 2015. Mais ce n’est pas l’éclatement d’une nouvelle bulle du manga, comme entre 2009 et 2014 où le marché a baissé sans discontinuer. Le secteur est sain et le socle de lecteurs s’est considérablement élargi », pointe Grégoire Hellot, directeur éditorial des éditions Kurokawa (Editis). « Au Japon, il y a actuellement un creux éditorial. Et comme le marché français est très dépendant de l’industrie japonaise du manga pour les contenus, cela finit par se répercuter ici », abonde Iker Bilbao, directeur éditorial des éditions Soleil (Delcourt).

Autre explication à ce recul : le secteur pâtit aussi d’une double inflation, entre crise du papier et surproduction. « La hausse des prix a un vrai effet. Il y a quelques années, le tarif d’un manga tournait autour de cinq euros. Aujourd’hui, on se rapproche doucement des 10 euros en moyenne. Je vois de plus en plus de lecteurs venir au magasin avec des listes de mangas et ils étalent leurs achats sur plusieurs mois, ce qui n’arrivait pas avant, note Alice Fautrez, responsable de la librairie spécialisée en manga Le Renard doré.

« Dans le même temps, beaucoup d’éditeurs ont voulu profiter de la « hype » et se sont mis au manga. Il y a donc énormément de nouveautés qui sortent. Or, tout n’est pas forcément qualitatif. Les séries n’ont pas le temps de s’installer car on les enlève vite des rayons pour faire place aux nouveautés qui suivent », poursuit-elle.

Un paradigme qui a encore accru la polarisation du marché, déjà accentuée lors des fortes années de croissance, entre les séries XXL et les autres. « Aujourd’hui, c’est plus difficile pour les petites et moyennes séries. Beaucoup de mangas n’arrivent pas à franchir la barre des 10.000 ventes », note Satoko Inaba, directrice éditoriale de Glénat (One Piece).

« Il y a désormais un fonds comme dans la littérature générale »

A l’inverse, One Piece – arrivé en France en 2000 -, ne voit pas ses ventes faiblir. Lors des cinq premiers mois de l’année, sept tomes de cette franchise (toujours en cours) se sont hissés dans le top 15 des meilleures ventes de mangas, selon GfK. La série se rapproche des 40 millions de ventes cumulées en France. Une performance sans équivalent.

Sept ans après son arrêt en France, la série « Naruto » est, elle, toujours la deuxième série la plus populaire dans l’Hexagone, avec plus de 25 millions de ventes depuis 2002. « C’est la grande force du manga aujourd’hui, note Nicolas Ducos, directeur marketing et commercial chez Kana (Naruto). Ce n’est plus un marché ne fonctionnant qu’à la nouveauté. Il y a désormais un fonds, comme dans la littérature générale. Cela tient le secteur. »

Le succès de nouvelles séries

Reste que cette omnipotence des grandes licences n’a pas totalement empêché l’émergence de nouvelles séries à succès. Apparu en 2020 en France, « Spy Family » a ainsi été la cinquième série la plus populaire entre janvier et fin mai, selon GfK. « Nous allons passer la barre des 3 millions de ventes d’ici à la fin de l’année », anticipe Grégoire Hellot dont le groupe mise aussi beaucoup sur le tome 1 de « Tsugai » qui vient de sortir. Tiré à 135.000 exemplaires en France, ce manga fait un tabac au Japon.

« Kaiju N°8 », « Blue Locke », « Jujutsu Kaisen » : d’autres mangas récents ont aussi enregistré de jolis démarrages en France. De quoi nourrir l’optimisme du secteur. « Plusieurs séries prometteuses ne bénéficient pas encore d’une version animée qui sert souvent d’accélérateur pour les ventes, note Satoko Inaba. Avec ‘Tokyo Revengers’, cela nous avait permis de multiplier les ventes par huit, à plus de 50.000 unités écoulées par tome. »

Des chiffres élevés mais qui restent à des années-lumière des performances hors normes de « One Piece ». « Mais cette série avait démarré doucement, note Satoko Inaba. C’est toujours un pari sur plusieurs années quand on mise sur une nouvelle franchise. Et dans toutes ces nouvelles séries, il y a peut-être le ‘One Piece’ de demain. »

 

Lire : Les Echos du 2 août

 

Jean-Philippe Behr

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