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« Non à la fermeture de l’usine Chapelle-Darblay ! »

Jean de beir, Maître de conférences en Sciences économiques à l’Université, élu EELV à Rouen s’exprime sur l’usine Chapelle-Darblay.

 

L’intensité des incendies sur notre planète fragilise les écosystèmes et les ressources forestières. Le réchauffement climatique et la perte de biodiversité exigent la transition écologique. Alors qu’en Europe on importe de la pâte à papier vierge issue d’exploitations forestières au Brésil, Canada ou Russie, le Groupe finlandais UPM a annoncé, en septembre 2019, la vente ou, à défaut, la fermeture de l’usine de papier recyclé de la Chapelle Darblay implantée à Grand-Couronne, dans la Métropole Rouen Normandie.

 

A la catastrophe de Lubrizol pourrait succéder la fragilisation de toute une économie circulaire qui s’est tissée depuis trois décennies autour d’un site pionnier du recyclage. Sa fermeture entraînerait la perte de 230 emplois et de 1 000 emplois induits dans un bassin industriel en difficulté. Elle serait d’autant plus grave que sa production cellulosique s’inscrit dans une politique des déchets dont les bénéfices dépassent le seul territoire de la métropole normande.

 

L’usine est en effet la clé de voûte d’une économie circulaire de proximité. Elle introduit en 1985 la fibre recyclée dans la production de papier journal et, dès 1999, elle est la seule en France à fabriquer du papier intégralement recyclé. Cela en parvenant à engager beaucoup de communes dans le tri des déchets de papiers et en mobilisant les deux tiers du papier issu des collectes sélectives d’Ile-de-France et du grand Ouest.

900 000 tonnes de papiers triés

 

Sa production a évité aux communes d’envoyer à leurs frais des centaines de milliers de tonnes de papiers vers l’incinération ou l’enfouissement, tout en leur procurant des recettes liées à la reprise des papiers triés. En 2019, deux fabricants de papier, l’usine vosgienne Golbey et la Chapelle Darblay, utilisent 900 000 tonnes de papiers triés sur les 1,3 millions disponibles en France, l’excédent étant destiné à des usines de papier en Europe. C’est dire l’ampleur de cette économie en boucle…

 

Jusqu’en 2019, l’usine intègre un tri des papiers, leur désencrage et la production de pâte recyclée ; en bout de ligne, des bobines de papier sont vendues à des imprimeurs. Performante technologiquement, son empreinte écologique est réduite : le site de 33 hectares a compté sur un transport fluvial entre Paris et Rouen dès 2005. Une chaudière biomasse à cogénération produit la vapeur sèche pour les machines à papier en brûlant les boues de désencrage mélangées à des résidus de bois et de traitement des papiers. Cette énergie est couplée à une production d’électricité qui est revendue sur le réseau et elle dispose de sa propre station d’épuration biologique de l’eau.

 

Mais son activité a été structurellement mise à mal par l’érosion de la demande de papier journal concomitante au développement du numérique. En France (1), entre 2000 et 2019, la part des papiers graphiques dans les différentes sortes papetières passe de 45 à 22 % alors que celle des papiers et cartons d’emballage croît de 46 à 61 %.

 

En Europe, les fabricants de papiers graphiques réduisent leur capacité ou reconvertissent leur activité. Mécaniquement, l’excédent des flux de papiers triés renforce la baisse de leur prix de reprise auprès des communes ce qui affecte l’amorce du processus économique du recyclage.

 

L’enlèvement des papiers usagés pourrait poser problème à l’intermédiaire éventuel, entre le détenteur et le papetier, s’il n’y trouve pas son compte. Si c’est le papetier qui s’approvisionne directement auprès du détenteur, il renoncera à se fournir si ses débouchés se tarissent… Si l’équilibre de la gestion des déchets se fragilise, c’est alors la fiscalité locale qui risque de s’élever.

Des solutions

 

Il existe toutefois des solutions pour dépasser ces contraintes et concrétiser un scénario d’avenir.

 

L’arrêt de la fabrication de papier journal libère en effet des capacités pour des synergies productives.

 

Une activité diversifiée permettrait d’utiliser les flux de papiers usagés, moins exigeants en qualité de tri et moins coûteux, mais aussi de cartons en mélange. Elle assurerait l’utilisation optimale des équipements et de l’énergie dans un site conservant tous ses atouts logistiques. Les élus du personnel envisagent la pleine utilisation de l’outil en évitant la reprise par un seul agent. Des études soutenues par une mission parlementaire et le comité technique piloté par la Commissaire à la réindustrialisation examinent la cohérence industrielle d’un projet pivot et de productions périphériques. Moyennant quelques investissements, le site pourrait s’appuyer sur un projet central de fabrication de papier pour ondulé destiné au cartonnage et des développements industriels périphériques autour de la production d’une pâte marchande recyclée aux usages multiples. La fabrication de papier ondulé créerait près de 130 emplois salariés ; n’exigeant pas de désencrage, elle utilise des cartons usagés et reconvertit la machine à papier arrêtée vers la fabrication d’emballage. Elle serait associée à des productions liées à une pâte marchande élaborée sur le site. Il s’agit de fabrication de liner, de ramettes, de papiers sanitaires, de cellulose moulée pour emballage et de l’ouate cellulosique pour des supports d’isolation. Outre la qualité de ses standards environnementaux, cette production créerait une centaine d’emplois.

 

À l’heure du plan de relance et de l’inévitable transition écologique, la fermeture de Chapelle Darblay sonnerait comme un aveu criant d’impuissance. Les décideurs publics doivent protéger les communs en harmonisant intérêts collectifs et privés. Une solution juridique de gestion du foncier et d’exploitation des outils saura rassurer la Banque publique d’investissement et les entreprises. Une réponse politique doit ouvrir un choix de société majeur en termes de souveraineté industrielle et d’empreinte environnementale de nos territoires.

 

(1) Données COPACEL, 2018 et 2019.

 

Lire : Paris Normandie du 30 septembre

 

Jean-Philippe Behr

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