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Science & Vie : menace d’une démission collective de la rédaction

Détenus par le groupe Reworld, les journalistes du magazine scientifique s’inquiètent pour leur indépendance et leur avenir. En cause, des articles publiés sur leur site sans leur aval.

 

C’est un premier anniversaire raté. Un an et quelques jours après avoir été racheté par le groupe de presse Reworld Media, méprisé dans le monde journalistique pour son exploitation de marques à des fins purement publicitaires, la société des journalistes (SDJ) de Science & Vie a «fêté» l’événement en envoyant un mail à sa direction.

 

Dans ce courrier consulté par Libération, les journalistes expriment leurs inquiétudes sur deux sujets qui pourraient affecter la santé du titre, pourtant pérenne, dans les mois à venir. Ils demandent d’abord des embauches promises, afin de regonfler une rédaction qui a bien maigri depuis l’arrivée de Reworld, passant de 30 à 20 personnes.

«Des négociations avaient été menées entre le directeur de la rédaction et l’actionnaire l’an dernier, et un terrain d’entente avait été trouvé, pour garantir la qualité du titre dans les années à venir en recrutant trois personnes. Depuis, plus de nouvelles», détaille à Libé le bureau de la SDJ des titres Science & Vie (Science & Vie junior, les Cahiers de Science & Vie, Science & Vie découverte).

Des « chargés de contenu »

 

Ce n’est pas tout. Dans le même mail, la SDJ réclame des garanties sur l’indépendance éditoriale du site. Depuis septembre, plusieurs articles y ont été publiés, sans que la direction de la rédaction du magazine ne soit consultée, ni pour valider l’angle choisi ni pour relire avant publication. Ces articles ont été écrits à Boulogne-Billancourt, dans les locaux de Reworld Media, par une «chargée de contenu». A la plus grande surprise des journalistes de Science & Vie, dont les locaux sont situés à Montrouge, en proche banlieue parisienne.

 

La situation peut paraître ubuesque, mais c’est un grand classique chez Reworld Media. Comme Libé l’expliquait déjà il y a deux ans, au moment où le groupe français s’apprêtait à acquérir les titres de Mondadori (dont Science & Vie), sa réputation sulfureuse n’est pas usurpée. Le processus est simple : on rachète à bas coût des marques de presse établies mais en difficulté financière, puis on incite les titulaires d’une carte de presse à quitter l’entreprise via la clause de cession, qui permet aux journalistes de démissionner d’un titre avec des indemnités après un changement d’actionnaire. Ensuite, on recrute de jeunes journalistes, qu’on paye mal, et à qui on attribue le statut de «chargé de contenu», avec la mission d’écrire des articles publicitaires faisant la promotion d’annonceurs ayant payé pour.

Une image « en danger »

 

Cette situation est «intenable», selon les membres du bureau de la SDJ du titre scientifique : «Ça met en danger l’image de Science & Vie, notamment parce que certains des articles publiés ne sont pas dans notre ligne, ou d’une naïveté confondante.» L’un d’eux, depuis supprimé, faisait découvrir aux lecteurs du site l’existence et les ravages du réchauffement climatique. «Nos lecteurs sont déjà au courant…» maugrée la rédaction, qui veut bien bénéficier de l’expertise numérique de Reworld Media, mais souhaite aussi garder la main éditoriale sur le site, comme sur le magazine.

 

Au sein de l’équipe du premier mensuel français (près de 4 millions de lecteurs par an), on pointe aujourd’hui le risque de démission collective : «Nous pouvons encore prendre la clause. Le risque, c’est que la rédaction soit vidée de ses journalistes si Reworld admet que la rédaction n’a plus le contrôle sur le contenu du site internet. Si le directeur de la rédaction s’en va, il y a de grandes chances que tous les journalistes s’en aillent.»

 

Contacté ce mercredi par Libé, le directeur des activités numériques de Reworld Media, Jérémy Parola, n’a pour l’heure pas répondu à nos sollicitations.

 

Lire : Libération du 23 septembre

 

Jean-Philippe Behr

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