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Difficultés de recrutement : la balle est aussi dans le camp de l’employeur

Une étude de France Stratégie, publiée ce mardi, minimise les causes les plus mises en avant par les employeurs comme l’insuffisance de candidats. L’essentiel des difficultés exprimées résulte, selon elle, de facteurs internes à l’entreprise.

Déjà très fournie, la littérature économique sur les difficultés de recrutement s’est enrichie d’une nouvelle contribution qui risque de faire débat. Publiée ce mardi par France Stratégie, un centre de réflexion rattaché à Matignon, elle renvoie l’essentiel du problème à des caractéristiques propres à l’entreprise plutôt qu’à des facteurs directement mesurables, tels que sa taille ou le salaire proposé.

Couvreurs, aides à domicile ou encore bouchers : chaque année, l’enquête « Besoin en main-d’oeuvre » de Pôle emploi liste les 20 métiers pour lesquels les employeurs anticipent le plus de difficultés à embaucher et les motifs mis en avant. En ressortent toujours en tête le nombre insuffisant de candidats ou leurs profils inadaptés, loin devant les conditions de travail, le déficit d’image ou la localisation du poste, ce que les enquêtes du ministère du Travail confirment.

Même si l’opérateur public le relativise – neuf embauches sur dix allant au bout – le problème perturbe le quotidien de milliers de chefs d’entreprise qui cherchent à recruter, d’autant qu’il s’est exacerbé en un an.

Dans ce contexte, l’étude de France Stratégie cherche à faire la part de ces facteurs « observables » par rapport à d’autres qui ne le sont pas car internes à l’entreprise. Faire la distinction « peut permettre de mieux orienter les interventions publiques visant à fluidifier le marché du travail », avancent les auteurs de l’étude.

Echange personnalisé

Résultat, dans la première famille de facteurs, où l’on retrouve la taille de la société, son secteur d’activité, sa localisation, les formes de contrats ou les salaires proposés, et bien sûr le profil du métier, c’est surtout le dernier paramètre qui joue. Ce dernier mis à part, les autres facteurs observables influent marginalement. In fine, tous n’expliquent que 14 % des difficultés exprimées.

C’est donc du côté de la seconde famille de facteurs, « non observables », que se situe l’essentiel du problème, à savoir la gestion des ressources humaines, la qualité du management, la réputation de l’entreprise, la psychologie de son patron et les conditions de travail.

Un effort ciblé sur les métiers en tension pour augmenter le nombre de personnes aptes à les occuper reste indispensable, préconise France Stratégie, à l’image du plan lancé en septembre par le gouvernement Castex . « De manière encore plus importante, les actions devraient reposer sur un échange personnalisé avec le chef d’entreprise », poursuivent-ils.

Pôle emploi l’a bien compris mais sa promesse de rappeler tous ceux dont l’offre n’est pas pourvue au bout de 30 jours a été mise à mal par le Covid.

Comment expliquer les difficultés de recrutement anticipées par les entreprises ?

Cette étude analyse les difficultés ressenties par les entreprises françaises lorsqu’elles envisagent de recruter. On cherche à identifier si les facteurs couramment avancés pour expliquer ces difficultés, comme le métier, les qualifications recherchées, les caractéristiques de l’entreprise, sa localisation et son secteur d’activité, permettent d’expliquer ce ressenti exprimé par les chefs d’entreprise. Les données sont obtenues en croisant l’enquête Besoins en main-d’oeuvre (BMO) de 2019 et 2020 et les données d’entreprises FARE et DADS correspondantes. Nous développons une analyse économétrique en mobilisant les données au niveau des établissements.

Les variables observables qui permettent de qualifier l’entreprise et le type d’emploi à pourvoir n’expliquent que 14 % de la variance totale des difficultés exprimées. Ce pouvoir explicatif relativement faible laisse à penser que la majeure partie des difficultés exprimées relèvent davantage de facteurs propres à chaque entreprise, qui ne sont pas directement mesurables (indépendamment de la taille, du secteur, de la localisation ou des qualifications recherchées).

Parmi les caractéristiques observables, les métiers recherchés constituent le facteur explicatif dominant. Ils contribuent aux trois quarts de la variance expliquée par le modèle mais uniquement à 10,5 % de la variance totale. Les caractéristiques de l’entreprise (taille, chiffre d’affaires, secteur, etc.) contribuent à expliquer environ 10 % de la variance expliquée soit 1,4 % de la variance totale. Les caractéristiques géographiques et les conditions économiques environnantes de l’entreprise – densité de population dans la zone d’emploi, taille de l’aire urbaine, présence d’une zone d’attractivité, taux de chômage de la zone d’appartenance – expliquent quant à elles environ 15 % de la variance expliquée soit 2,1 % de la variance totale. En particulier, les difficultés anticipées baissent quand la taille de l’entreprise et la densité de la population dans la zone d’emploi augmentent ; en revanche, ces difficultés s’accroissent avec les salaires et le niveau de diplôme requis.

En conclusion, des facteurs non observés liés notamment à l’activité interne de l’entreprise semblent jouer un rôle important dans l’explication des difficultés de recrutement exprimées. En conséquence, la réponse aux difficultés de recrutement anticipées devrait surtout être pensée en termes d’actions ciblées en direction des établissements prévoyant ces difficultés. Il s’agirait notamment de comprendre les raisons de cette perception, alors que des entreprises de taille, de localisation et de secteur similaires n’expriment pas les mêmes difficultés. Outre les questions propres à l’entreprise comme la gestion des ressources humaines, la qualité du management et la réputation de l’employeur, l’accompagnement de l’entreprise devrait s’appuyer sur des actions spécifiques aux métiers pour lesquels les recrutements apparaissent les plus problématiques.

Il convient de rappeler les limites de l’analyse menée ici, au-delà du fait qu’elle porte sur des difficultés anticipées, et non observées ex post. Le degré de désagrégation des variables explicatives est sans doute insuffisant pour capter l’hétérogénéité des difficultés de recrutement (82 familles de métiers ; 10 secteurs d’activité ; 8 niveaux de densité de la zone d’emploi). Enfin, cette étude porte sur la situation pré-crise du Covid.

 

Lire : Les Echos du 21 juin

Lire : France Stratégie du 21 juin

Télécharger : l’étude (42 pages)

 

Jean-Philippe Behr

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