Le gouvernement espagnol aurait fait pression pour faire évoluer les rapports de force au sein du groupe, dont Vivendi est actionnaire. Le président et premier actionnaire de Prisa, Joseph Oughourlian, s’indigne d’une forme d’ingérence politique.
Colère et indignation à la tête du journal « El Pais », sur fond de rumeurs d’interventionnisme politique. Le gouvernement de Pedro Sanchez est-il en train d’essayer de reprendre en main le groupe Prisa, propriétaire du journal de référence espagnol ?
C’est ce qu’a dénoncé Joseph Oughourlian, l’actionnaire principal du groupe, dans une tribune cinglante publiée jeudi, intitulée « Mon engagement pour ‘El Pais’, liberté éditoriale et indépendance ». Sans le cibler nommément, il s’y indigne de l’ingérence supposée du gouvernement.
Au moment où l’Espagne commémore les 50 ans de la mort du dictateur Franco, « il serait inacceptable, écrit-il, que quelqu’un tente d’essayer de s’approprier un moyen de communication indépendant, depuis le pouvoir ou bien en utilisant une entreprise nationale comme instrument ».
Un rendez-vous avec Vivendi à Paris
C’est une conversation révélée par « Le Point » qui a eu lieu en marge du sommet IA à Paris en février, qui a mis le feu aux poudres. Ce jour-là, le ministre espagnol de la Transformation numérique, Oscar Lopez, et Marc Murtra, le tout nouveau patron de Telefonica, tous deux réputés très proches de Pedro Sanchez, rencontraient Arnaud de Puyfontaine, président du directoire du groupe Vivendi, contrôlé par la famille Bolloré.
Les Espagnols auraient profité de l’occasion pour lui conseiller de vendre ses parts du groupe Prisa (11,9 %) à des actionnaires « amis », sous peine de perdre le budget publicitaire de Telefonica que gère Havas, aussi dans la galaxie Bolloré. Interrogé par « Les Echos », Vivendi n’a pas souhaité commenter ces informations.
L’échange est tout sauf anodin, car il pourrait signifier le changement des rapports de force au sein de Prisa (propriétaire d’« El Pais » mais aussi du quotidien sportif « AS », d’activités d’édition scolaire et de la radio Cadena SER), dont l’actionnaire principal est Amber Capital, le fonds d’investissement de Joseph Oughourlian, avec 29,5 % des parts.
Une vieille tentation
« El Pais » a toujours suscité l’intérêt du pouvoir. Il s’agit d’une vieille tentation des gouvernements de gauche « qui ont tendance à le considérer comme faisant partie de leur zone d’influence naturelle », décrit un ancien du journal. Mais les déboires financiers du groupe dans les années 2000 ont changé la donne, avec l’entrée dans son capital de fonds d’investissement, a priori moins connectés avec les jeux de pouvoir espagnols.
Le fondateur d’Amber, président de Prisa depuis 2021, a œuvré au redressement du groupe en misant sur l’édition scolaire et l’essor des abonnements en ligne chez « El Pais ». Une autre priorité pour lui a été d’alléger le fardeau de la dette, réduite à environ 750 millions d’euros. Selon Bloomberg, le groupe serait en discussion avec ses créanciers pour refinancer sa dette, via une augmentation de capital.
Projet de chaîne
C’est la réticence de Joseph Oughourlian de s’embarquer dans un coûteux projet de chaîne de télévision nationale qui aurait contrarié certaines personnes au sein du groupe, comme en dehors. Plusieurs actionnaires se seraient ainsi regroupés, autour d’un ex-dirigeant de Prisa, José Miguel Contreras, afin d’unir les forces.
Selon la presse espagnole, ils pèseraient déjà 17 % du capital, avec l’espoir de gagner de nouveaux alliés afin de débarquer Oughourlian à la prochaine assemblée générale. D’où les pressions sur Vivendi, mais aussi des approches de la famille Polanco, héritiers du fondateur (7,6 %), du Mexicain Carlos Slim (7 %) et de la banque Santander (4 %).