Depuis plusieurs années, la censure des livres et essais connaît une montée en puissance alarmante aux États-Unis. Le retour de Donald Trump au pouvoir, début 2025, a accéléré cette tendance.
En février dernier, un mois après la réélection de Donald Trump à la tête des États-Unis, le livre jeunesse Freckleface Strawberry de Julianne Moore a été interdit par l’administration Trump dans les écoles gérées par le ministère de la Défense (représentant 20 000 élèves sur le territoire américain). L’ouvrage semi-autobiographique raconte simplement l’histoire d’une petite fille de 7 ans qui n’aime pas ses taches de rousseur, mais qui finit par apprendre à vivre avec lorsqu’elle se rend compte qu’elle est différente “comme tout le monde”.
“Je ne peux m’empêcher de me demander ce qui est si controversé dans ce livre d’images pour qu’il soit interdit par le gouvernement américain”, avait-elle commenté sur son compte Instagram. “Je suis vraiment attristée et je n’aurais jamais pensé voir cela dans un pays où la liberté de parole et d’expression est un droit constitutionnel”. Cette interdiction est loin d’être la seule.
En effet, ces dernières années, les censures de livres ont considérablement augmenté aux États-Unis, selon les principales associations dédiées à la défense de la liberté d’expression dans la littérature, Pen America et American Library Association. Au cours de l’année 2023-2024, 10 046 titres ont été interdits, dont plus de 4 000 retirés des bibliothèques scolaires.
L’Œil le plus bleu de Toni Morrison, prix Nobel de Littérature, fait partie des œuvres les plus censurées. Des classiques tels que Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee ou encore La Servante écarlate de Margaret Atwood ne figurent désormais plus sur les étagères de certaines bibliothèques publiques ou scolaires d’États conservateurs. En Floride, plus de 4 500 titres ont été bannis, plus de 530 au Texas, alors qu’en Californie, État à tendance démocrate, deux ouvrages ont été interdits.
La montée en puissance des conservateurs
Cette augmentation record s’explique par la montée en puissance des conservateurs lors du mandat de Joe Biden et le retour de Trump à la Maison Blanche début 2025. En réaction à l’élection d’un démocrate à la tête du pays, en 2021, de nombreux parents d’élèves conservateurs se sont présentés aux élections des “school boards”, des conseils d’éducation impliqués dans la gestion des écoles. “Grâce à l’arrivée de Trump au pouvoir, certains groupes de parents ont acquis un pouvoir politique local encore plus important, ce qui permet d’exiger plus facilement le retrait de livres”, explique Héloïse Thomas, spécialiste de la littérature américaine et des minorités.
Les œuvres visées sont généralement des ouvrages qui sensibilisent les plus jeunes au racisme, à la sexualité, au genre, à l’histoire ou aux questions LGBT+, et dont les auteurs sont des femmes, des personnes racisées ou des membres de la communauté queer. “Souvent les arguments, ce sont que les livres ne sont pas appropriés à l’âge des élèves, qu’ils contiendraient des mots qui ne sont pas adaptés à des enfants ou alors des scènes de pornographie. Ce sont des tournures qui sont utilisées pour censurer, il n’y a rien de concret”, affirme la chercheuse.
“Ils sont confrontés à des communautés très hostiles”
Mais tout n’est pas perdu. Les bibliothécaires les plus progressistes appartiennent à des réseaux qui leur permettent de discuter avec d’autres professionnels et de faire entendre leur histoire et leur détresse face à la censure. “Ils sont confrontés à des communautés très hostiles”, raconte Héloïse Thomas. Suzette Baker, ex-bibliothécaire de 57 ans, qui avait lancé un procès pour licenciement abusif après avoir refusé de retirer des livres sur l’histoire des Noirs américains et des personnages LGBT+, a obtenu un accord avec son ancien employeur, le comté de Llano, au Texas, en mars dernier.
Les bibliothécaires ne sont pas seuls dans leur bataille. Des figures politiques locales essaient, à leur échelle, de contrer les tentatives de censure, soutenues par des parents d’élèves qui souhaitent que leurs enfants continuent d’avoir accès à tous les livres.
L’initiative du site The Banned Book Club
D’autres initiatives, visant à lutter contre la censure, commencent à fleurir aux États-Unis. Par exemple, le site The Banned Book Club permet à tout Américain se trouvant dans une bibliothèque qui a interdit un livre d’accéder gratuitement à sa version numérique (grâce à un système de localisation). De nombreuses librairies proposent un rayon spécialement dédié aux livres bannis des bibliothèques scolaires ou municipales.
Les moyens de lutte sont de plus en plus nombreux, mais le programme, mis en place par Elon Musk, a supprimé des emplois essentiels à cette bataille. “Des bibliothécaires ont perdu leur travail et parfois, c’étaient les derniers remparts face aux tentatives de censure”, explique la chercheuse. Donald Trump est au pouvoir jusqu’en 2029, la tendance ne risque pas de s’inverser.