Alors que l’usage des chatbots d’intelligence artificielle se généralise, leur effet sur le cerveau humain est de plus en plus discuté. Une nouvelle étude du très sérieux MIT jette le trouble sur l’avenir de nos capacités cognitives à l’ère de ChatGPT.
Répondre à un e-mail, trouver son prochain lieu de voyage ou rédiger son mémoire de recherche… En moins de trois ans, utiliser ChatGPT est devenu une habitude pour 500 millions de personnes chaque semaine sur la planète. A tel point que beaucoup s’inquiètent désormais des répercussions de cet outil – et plus généralement de tous les chatbots d’intelligence artificielle – sur les capacités du cerveau humain.
Notre cerveau travaille-t-il moins que d’habitude lorsque nous utilisons ChatGPT ? Notre mémoire est-elle aussi bien entraînée ? Perdons-nous en capacités cognitives ? Autant de questions que se sont posées huit chercheurs du prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology) durant quatre mois.
Le groupe d’experts vient de publier les premières conclusions d’une étude dénommée « Votre cerveau sur ChatGPT ». Ils ont étudié à l’aide d’un encéphalogramme l’activité cérébrale de 54 adultes de 18 à 39 ans lors de trois sessions de tests consistant à rédiger un essai en vingt minutes sur un sujet donné.
Moins de connexions neuronales
Les participants ont été divisés en trois groupes : certains pouvant utiliser ChatGPT (le modèle 4o), d’autres ont pu s’aider d’un moteur de recherche classique (comme Google par exemple), et les derniers n’ayant que leur cerveau pour réfléchir.
Le premier constat est clair : « la connectivité cérébrale est systématiquement réduite en fonction de la quantité de soutien externe », expliquent les chercheurs. En clair, les personnes aidées par ChatGPT opèrent nettement moins de connexions neuronales que celles utilisant un moteur de recherche, et encore moins que celles réfléchissant sans aucune aide extérieure.

Le cerveau est moins actif lors de l’utilisation de ChatGPT.MIT Media Lab
Les chercheurs ont réalisé une quatrième phase de test sur 18 participants en échangeant le groupe pouvant s’aider de ChatGPT (« LLM-only ») avec celui n’ayant aucun outil à disposition (« Brain-only »). Ceux qui avaient d’abord utilisé le robot conversationnel pour rédiger leur essai se souvenaient moins bien de ce qu’ils avaient écrit, et présentaient en moyenne une activité cérébrale plus faible lors de ce test.
Cette phase suggère une « diminution probable des compétences d’apprentissage », selon l’étude. En fait, l’usage répété de ces outils pourrait créer une « dette cognitive » dans le cerveau, affectant à long terme ses capacités.
En seulement quelques jours, cet article a fait l’objet de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux, certains arguant que la méthodologie et la cohorte auraient biaisé les résultats. « Cette étude nous apprend quelque chose d’important sur la tricherie avec l’IA (si vous la laissez faire votre travail, vous n’apprendrez rien), mais cela ne nous apprend rien sur le fait que l’utilisation du LLM nous rend plus bêtes dans l’ensemble », affirme sur LinkedIn Ethan Mollick, professeur à l’université de Wharton.
L’élève et le maître
Si l’article n’a pas encore fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique, d’autres soulignent néanmoins son sérieux. « Certes, la cohorte est faible, mais la méthodologie est très bien faite, avec une expérience répétée dans le temps et l’alternance des différents groupes. C’est un procédé en général très probant », commente Jean-Gérard Pailloncy, docteur en informatique et en mathématiques.
« Lorsque l’on apprend, on construit un raisonnement et de nouvelles connexions cérébrales se mettent en place. Se servir de ChatGPT quand on ne connaît pas un sujet pour le régurgiter immédiatement tel quel conduit inévitablement à ne rien retenir », ajoute le chercheur. Pour lui, « l’outil multiplie les capacités d’un esprit formé, mais réduit les capacités des cerveaux non formés ». D’autant plus quand l’on sait que tous les chatbots présentent un certain niveau d’hallucinations.
Le sujet résonne évidemment avec l’appropriation de plus en plus grande de ChatGPT et consorts chez les adolescents, dont le cerveau est encore en formation, et l’usage de ces outils à l’école. « Il faut apprendre aux jeunes à développer leur esprit critique et à se poser les bonnes questions. Peut-être faut-il même aller jusqu’à poser une limite d’âge », abonde Chloé Duteil, fondatrice de Stlar, un cabinet spécialisé en data & IA.
Les entreprises doivent aussi, selon l’experte, se pencher sur le sujet des compétences cognitives. « Cette étude invite à repenser les compétences que l’entreprise recherche : certes, la maîtrise de l’IA va devenir un différenciant majeur pour les candidats, mais les recruteurs doivent aussi tester les compétences sans outil d’intelligence artificielle. »