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Édition : la ruée des auteurs de best-sellers vers l’indépendance s’amplifie

Mardi, les auteurs de la série de bande dessinée Mortelle Adèle ont annoncé qu’ils allaient prendre leur distance avec Bayard pour lancer leur propre structure. Ces derniers mois, d’autres auteurs très populaires ont fait le même choix. Un phénomène qui inquiète les éditeurs.

Ce n’est pas encore à proprement parler un raz de marée mais ce n’est en rien un épiphénomène. Mardi, les auteurs de la série de bande dessinée Mortelle Adèle ont annoncé qu’ils allaient prendre leur distance avec Bayard. « Nous avons décidé la création de notre propre structure éditoriale pour la publication de la suite des aventures de Mortelle Adèle en 2023 ainsi que de la série Gadou », détaillent dans un communiqué le scénariste Mr Tan (Antoine Dole) et la dessinatrice Diane Le Feyer.

Une grande perte pour Bayard – devant encore publier le roman « Debout les Bizarres ! » à paraître le 31 août et le tome 19 de la BD en octobre -, qui voit sortir de son portefeuille une franchise XXL. Lancée en 2012, la série Mortelle Adèle a franchi le cap des 11 millions d’unités vendues en France.

Les créateurs de Mortelle Adèle viennent s’ajouter à la liste des auteurs de best-sellers ou personnalités publiques potentiellement à même de générer des ventes massives ayant opté pour la voie de l’indépendance via la création de leur propre structure : Eric Zemmour, Kylian Mbappé, Joël Dicker, Riad Sattouf. Forcément, seuls les auteurs à grands succès et pouvant s’appuyer sur une large base de lecteurs et fans peuvent se permettre de tenter le grand saut et de se passer d’à-valoir confortable.

Un coup rude pour les maisons d’édition

Reste que si ce mouvement demeure contingenté aux écrivains vedettes, le coup est rude pour les maisons d’éditions concernées ​et déséquilibre leur péréquation selon laquelle les quelques auteurs à succès financent le développement de nouvelles plumes. « Cela menace la richesse de l’offre éditoriale, ce qui va fragiliser toute la chaîne du livre à terme, des auteurs aux libraires », alerte un éditeur.

« Joël Dicker va éditer d’autres auteurs, les deux premières sorties auront lieu en 2023. Il a créé une maison d’édition à part entière », défend Anne-Sophie Aparis, directrice de la communication et du marketing de Rosie & Wolfe qui a été lancé en début d’année. « Il n’a aucun regret et les résultats sont là. Nous avons vendu près de 320.000 exemplaires physiques de ‘L’affaire Alaska Sanders’ depuis le 10 mars en France et près de 700.000 unités de l’ensemble du catalogue, en incluant le numérique. »

« Les grands distributeurs-diffuseurs ont ouvert la boîte de Pandore »

En court-circuitant les éditeurs, ces auteurs s’arrogent leur marge. Soit entre 15 % et 20 % du prix d’un livre [moins les frais marketing et toutes les charges afférentes à une maison d’édition, NDLR] dans le cas des créateurs à succès dont les droits d’auteur vont de 16 % à 20 % pour le haut du panier. Ce qui représente une coquette somme quand les ventes se comptent en centaines de milliers d’exemplaires et explique les velléités entrepreneuriales de certains d’entre eux.

« Au-delà de l’argent, il y a une insatisfaction de certains écrivains envers leurs éditeurs concernant le marketing digital mais aussi la gestion des droits audiovisuels, estime un expert de l’industrie. Les maisons d’éditions doivent se réinventer, comme les maisons de disques l’ont fait dans la musique. »

Dans ce secteur, de nombreux artistes ont opté pour l’indépendance ces dernières années, tout particulièrement dans la musique urbaine. Un phénomène auquel l’édition a longtemps été imperméable en France, où le marché est peu numérisé et où l’aspect distribution-diffusion des livres physiques est le nerf de la guerre.

« Ce sont les grands distributeurs-diffuseurs qui ont ouvert la boîte de Pandore. Sans eux, rien n’aurait été possible, note un bon connaisseur du secteur. Longtemps, il y a eu une ligne rouge dans le secteur induisant que les distributeurs-diffuseurs n’allaient pas démarcher en direct les auteurs pour les inciter à ce type de montage juridique et financier parce qu’ils ont eux-mêmes des maisons d’édition et ne voulaient pas les fragiliser. »

« Il va aussi nécessairement y avoir des échecs »

Mais en 2021, la digue a sauté. A quelques semaines d’intervalle, Zemmour, Dicker et Sattouf ont, tour à tour, annoncé qu’ils lançaient leur structure et ont tous signé avec Interforum, la filiale de distribution d’Editis, le numéro deux de l’édition en France et propriété de Vivendi – qui a depuis racheté le leader Hachette via son OPA sur le groupe Lagardère mais qui va devoir céder des actifs pour obtenir le feu vert des autorités de la concurrence.

Des initiatives qui ont depuis donné des idées à d’autres et font redouter aux éditeurs que le mouvement ne s’amplifie encore. « Ce n’est que le début. De nombreux écrivains de renom doivent y penser en voyant que ceux qui ont tenté l’expérience vendent toujours beaucoup, fait valoir une éditrice. Et c’est logique : ce sont des ‘auteurs-marques’ qui proposent des formats reprenant des codes et du contenu qu’ils ont déjà fait. Le lecteur ne voit pas la différence en librairie pour l’instant. »

Mais reste encore à tenir sur la durée. « Il va aussi nécessairement y avoir des échecs, ce qui va se traduire par des pertes financières pour les écrivains en question, estime Manuel Carcassonne, directeur général des éditions Stock qui est épargné par le phénomène. A ce moment-là, on en verra certains rentrer à la maison. »

 

Lire : Les Echos du 29 juin

 

Jean-Philippe Behr

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