CCFI

Prix du livre : la contre-attaque des librairies et des distributeurs face à Amazon

Face aux coups de boutoir du géant américain, FNAC Darty, Cultura et d’autres font front commun pour faire respecter la loi Darcos, qui a mis fin à la quasi-gratuité des frais de livraison des livres.

Jamais, en France, le front des commerces physiques de vente de livres n’avait été aussi large et unifié. Ce mercredi, le Syndicat de la librairie française (SLF), le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC, regroupant notamment les enseignes Cultura et Le Furet du Nord), FNAC Darty, Maison de la presse ainsi que les Espaces culturels E.Leclerc publient une étude commune évaluant pour la première fois les effets chiffrés de la loi Darcos.

En arrière-plan se joue un bras de fer avec Amazon. Ces dernières années, le géant de l’e-commerce n’a cessé de torpiller, sur les terrains juridique et médiatique, cette loi visant à « améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs ». Ce qui a poussé le SLF, le SDLC, FNAC Darty, Maison de la presse et les Espaces culturels E.Leclerc à « rendre publics leurs chiffres et les données existantes afin de démontrer, à rebours de nombreuses idées reçues, la pertinence et les effets positifs de la loi Darcos », font-ils valoir dans cette étude.

Rééquilibrer le jeu

« Cette démarche ne vise pas Amazon en tant que tel, mais plutôt parce qu’il veut s’exempter des règles communes, argue Guillaume Husson, délégué général du SLF. La loi satisfait la totalité des commerces physiques de livres, au point qu’ils ont décidé de documenter ensemble ses effets sur la base de données économiques et non de simples sondages auprès des clients. »

Le rapport met l’accent sur la mesure qui donne de l’urticaire à Amazon : celle ayant mis fin à la quasi-gratuité des frais de livraison des livres. L’objectif ? Rééquilibrer le jeu concurrentiel entre les commerces physiques de vente de livres – petits et grands – d’un côté et Amazon de l’autre.

Entrée en vigueur fin 2023, la loi fixe à 3 euros le seuil réglementaire des frais de port pour les commandes inférieures à 35 euros. A compter de ce montant, l’expéditeur peut proposer une simili-gratuité (0,01 centime) à ses clients. A l’unisson, tous les groupes derrière cette étude en concluent que le « prix plancher de 3 euros pour les livraisons de commandes de livres neufs de moins de 35 euros semble avoir réussi à trouver un point d’équilibre assez remarquable ».

Les librairies indépendantes premières bénéficiaires

Dans le détail, l’étude avance que la loi a ralenti la chute des ventes en volume et en valeur. Cette diminution a été « très forte l’année précédant la loi Darcos (-3,1 %), mais plus modérée pendant les 12 mois suivants (-2,6 %) ; le chiffre d’affaires global reste, lui, orienté à la hausse (+0,7 % l’année post-Darcos contre +1,6 % l’année précédente), dans un contexte de ralentissement de la revalorisation des prix publics par les éditeurs », écrivent les auteurs de l’étude.

Surtout, ces derniers assurent que le jeu concurrentiel a déjà été rééquilibré avec la loi Darcos. L’année qui a suivi son adoption, « la part de marché des magasins physiques (tous types d’enseignes confondus) a en effet augmenté de 2,3 points en volume, et de 3,2 points en valeur », peut-on lire dans l’étude. Cette évolution joue surtout en faveur des librairies indépendantes, alors que beaucoup sont exsangues financièrement.

« Il faut qu’il y ait un prix unique de tous les livres, le livre qu’on va acheter à la librairie comme le livre qu’on reçoit à la maison », avait appelé de ses voeux Emmanuel Macron en mai 2021. Promulguée quelques mois plus tard, la loi Darcos visait à compléter la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre, rendue moins efficiente par la montée en puissance de l’e-commerce ces dernières années.

Le stratagème d’Amazon

Craignant que d’autres pays ne s’en inspirent en Europe, Amazon est parti en guerre contre la loi, arguant entre autres que ces frais de livraison entravent le pouvoir d’achat. Ce à quoi ses opposants rétorquent que le géant de Seattle ne fait strictement aucun geste tarifaire pour l’ensemble des autres produits culturels et de grande consommation. Pour eux, cette politique, concernant uniquement les frais de livraison du livre, s’apparente à du dumping visant à gagner des parts de marché et à évincer les autres acteurs.

Malgré cette opposition, Amazon fait feu de tout bois. Dernier épisode en date : le groupe propose, depuis novembre, une livraison gratuite pour les achats de livres dans plus de 2.500 points de retrait, pour l’essentiel des « lockers » (casiers) installés dans des hypermarchés ou des supermarchés. « C’est un flagrant contournement de la loi qui se fait au détriment des libraires », avait alors réagi auprès des « Echos » la sénatrice Horizons Laure Darcos.

Dans la foulée, la ministre de la Culture, Rachida Dati, avait saisi le médiateur du livre, l’autorité chargée de la conciliation des litiges portant sur le principe du prix unique. Son avis devrait être rendu dans quelques jours. En fonction de celui-ci, le SLF, le SDLC, FNAC Darty, Maison de la presse et les Espaces culturels E.Leclerc auraient alors la possibilité de porter l’affaire en justice.

Lire : Les Echos du 5 février

Jean-Philippe Behr

Demande d’adhésion à la CCFI

Archives

Connexion

Demande d’adhésion à la CCFI